Quelques-unes de mes découvertes contemporaines


(rédaction en cours)

 

 

‘Je sens bien que le monde tourne de moins en moins rond ; j’aime aller y chercher, y traquer, y guetter les battements d’humanité. Ce sont mes tambours. Je tente d’y accrocher mon cœur.’

Laurence Vielle                  

 

 

Un autre monde est possible

 

     Comme beaucoup de nomades, ce me semble, j’ai mes habitudes. Pour relever mon courrier, c’est à P. (40 000 hab.), que je passe tous les deux-trois mois. Cette fois, j’allais m‘y faire surprendre.

     La veille, déjà, j’avais eu l’occasion de m’émerveiller : dans un village ancien et escarpé, un local donnant sur la rue, ouvert à qui veut pour y dormir, cuisiner, user de l’ordinateur et de la liaison internet ; sans obligation de payer. Si je ne m’abuse, c’est chose rare. Je n’ai eu aucun contact avec le propriétaire qui, selon les voisins habite au-dessus. Je me suis promis de repasser par là une prochaine fois, histoire d’y voir plus clair.

     Cette fois, à P., c’est pour un jeu de piste que je me suis trouvé sollicité. Des affichettes au sol : « un autre monde est-il possible ? »,   « un autre monde est possible », « un notre monde est possible », des points d’interrogation, ainsi que des flèches indiquant une direction. Les principales rues du centre étaient balisées de ces mentions, le tout convergeant vers une placette. Là, des personnes conversaient, assises sur des pliants de pique-nique. D’autres étaient occupées à rédiger quelques phrases, destinées à rejoindre un porte-document recueillant la moisson de la journée.

     Mon premier jugement : belle alternative aux recueils de signatures en masse au bas d’appels à une bonne cause auxquels, pour ma part, je ne sacrifie plus.

     Et puis : invitation à une séance, le soir même. Je commençai à craindre que le jeu de piste diurne ne soit qu’un attrape-nigauds, œuvre d’une secte aux intentions camouflées, histoire d’attirer un auditoire vers de quelconques sermons à la manière moderne : conférence, puis questions à l’orateur.

     Remarque un peu hors-sujet, quoique... Voilà : cette idée que, face à un conférencier l’on soit présumé n’avoir que des ‘questions‘ à poser m’irrite toujours au plus haut point. A ce propos, j’ai tout de même noté il y a peu dans un journal belge l’info suivante : ’Philosophe et écrivain spécialiste de Jung, Michel C. sera là pour mettre en perspective, culturellement et historiquement, les prises de paroles individuelles’. Un net progrès ! Rien que pour ça, vive la psychanalyse jungienne !

     Hé bien, ce soir-là, ni conférencier ni metteur en perspective. Juste, affichées, les phrases recueillies dans la journée sur la petite placette, et puis une procédure qui m’a littéralement enthousiasmé, peut-être en raison de sa simplicité : dans les divers coins de la salle, les mêmes pliants que l‘après-midi sont disposés par deux ; six minutes sont recommandées pour un échange interpersonnel, deux à deux, autour de la même affirmation/question « Un notre monde est possible / Un autre monde est-il possible ?’. Et j’ai vu chacun des 25/30 participants passer d‘un binôme à l’autre, et faisant ainsi connaissance. Faire plus ample connaissance semblait bien être le vrai but de l’opération, car il était recommandé d‘éviter ce qui se dit en général sur cette question : ‘Soyez personnel’, en somme. Aucune mise en commun en fin de parcours ; laquelle, en effet ? puisqu’il s’agissait, au contraire, d’échanges particuliers. 

     Je ne me suis pas contenté de voir car, bien sûr, j’ai plongé moi aussi dans un processus aussi réjouissant. Pour dire quoi ? Eh bien, pour colporter l’information que je rapporte plus haut : ma découverte d’un lieu privé ouvert à qui veut. Peut-être est-ce par de telles initiatives que s’inaugure un ‘autre monde’ ? sommes-nous convenus avec la plupart de mes interlocuteurs..

     Et quelles informations me sont ainsi parvenues en retour ? Assurément pas celles que j’eus entendues d’un conférencier. La conférence-débat s’évertue, comme l’école, à faire de nous des êtres séparés. Les regroupements au sein de manifs ne me disent rien non plus, tout en surface et pour quels résultats à long terme ? D’un autre côté, n’échanger tant soit peu personnellement qu’avec toujours les mêmes personnes, me semble outrancièrement limité. La séance vécue à P. m’a entr’ouvert d’autres horizons, tant il est vrai que nous sommes, chacun ET collectivement, NOTRE ressource, non ?

     Si je dois, un jour, participer à la mise en œuvre de ce genre de rencontre, je crois bien que je proposerai qu’elle ait lieu sous forme de déambulation. La balade nous rend plus enclins à la découverte, ce me semble.

     A la fin de la rencontre, l’un des participants annonça qu’allait être renouvelée une expérience déjà menée un an plus tôt : une séance à laquelle se voyait conviée toute personne désireuse d’exposer ‘un petit quelque chose de mathématique‘. Je ne compris pas immédiatement ce dont il pouvait s’agir : que pouvait bien être ce ‘petit quelque chose de mathématique’ ? En fait, l’idée consistait à conjoindre deux pratiques d’enseignement qui eurent leur heure de gloire, mais sont fondamentalement hors jeu aujourd’hui. D’une part, la situation des classes uniques ayant fait la spécificité de bien des écoles rurales : permettre à des enfants de saisir des enseignements qui ne leur sont pas destinés - parce que de ‘niveaux’ différents - mais que leur appétit de savoir pousse à la découverte. D’autre part, l’enseignement mutuel que l’on pratiqua officiellement dans certaines écoles françaises du début du dix-neuvième siècle. Ici, à P., les adultes étaient tout aussi invités que les enfants, et ça n’allait pas se passer à l’école. ça m’a rappelé ces ateliers où, en France comme ailleurs, enfants et adultes s’initient ensemble à la peinture. Peut-être, dans un tel contexte, pourrais-je, moi aussi, trouver quelque joie à la musique du calcul matriciel qui m’a toujours tellement rebuté ?

     Dans mon courrier du trimestre figurait une invitation à visiter un campus universitaire où une partie des logements est constituée de conteneurs. L’on m’y informe d’un débat en cours : pour faciliter les déplacements intra-campus, certains - des garçons surtout - refusent que soient mises en place des navettes par bus, préférant se faire prendre et déposer d’un point à un autre par une immense grue (comme celle qui servit au parachèvement de la Tour Eiffel, et dont Plonk & Replonk a publié la photo). Manière d’aller jusqu’au bout d’une certaine logique, il est vrai.

    

Check-points israéliens en Palestine

 

     [L’information donnée ci-dessus, concernant l’action revendicative au sein d’un habitat à base de conteneurs, était une blague. Ne fût-ce que parce que mon informateur avait daté sa lettre du 1er avril, j’eus dû m’en apercevoir...]

     Je me souviens avoir eu le contact, il y a une petite dizaine d’années, avec un groupe qui organisait dans une ville de taille moyenne une simulation de « check point » israélien en Palestine.

     J’étais là en deux circonstances : durant les trois heures de représentation dans les rues, puis lors de la séance de bilan qui d’ailleurs dura, elle aussi, trois heures.

     Nous sommes un samedi après-midi de janvier et les rues piétonnes de la ville sont bien fréquentées. Le chaland se trouve, de manière inattendue, nez à nez avec quelque chose qu’il ne comprend pas de prime abord : une scène - qui pourrait bien être de tournage de film - de brutalités commises par des hommes et femmes en costumes militaires sur des individus dont certains portent la X. largement popularisée par Arafat. Pour un tournage de film, un autre lieu eût certainement pu être choisi que cette rue colonisée par des magasins aux enseignes communes à tous les centres villes français ! Ou alors, du théâtre de rue ?

     L’une des séquences - il y en eut trois, répétées en divers lieux de la ville - met en scène un chauffeur de taxi palestinien, s’emportant parce que les militaires israéliens, qui l’ont pourtant laissé passer ce matin, ne l’y autorisent pas cet après-midi, alors qu’il conduit cette fois à l’hôpital un femme sur le point d’accoucher. ça dure quelques minutes et se solde par le demi-tour du taxi (le rôle est tenu, apprendrai-je, par un authentique chauffeur de taxi), et donc de la parturiente.

     Dans les deux autres cas mis en scène, les brutalités sont plus physiques, régulièrement commises avec un évident complexe de supériorité de la part des militaires, dont une femme.

     Le déroulement de chacune des séquences est dirigé par un ‘metteur en scène’ différent. Il donne des indications de jeu, fait reprendre la scène, etc. Nous découvrons ainsi que nous assistons, en fait, à la répétition en public de trois scènes.

     J’apprends que l’action a été décidée trois semaines auparavant et que seulement deux répétitions en salle ont déjà eu lieu pour l’ensemble des vingt deux ‘acteurs’, dont peu étaient familiers du théâtre, et que les militants généralement à l’origine de manifestations de soutien au peuple palestinien avaient marqué leur doute sur les chances de réussite d’une telle action.

     S’agissait-il de répétitions en vue de représentations en salle ? Nenni. L’objectif consistait purement et simplement en ces répétitions en public, dans la rue. Sans autorisation, ni même déclaration.

     Lors de l’évaluation, trois semaines plus tard, j’apprendrai que mille deux cents feuillets d’information ont été spontanément demandées par les passants. étonnement des militants habitués à devoir insister pour que leurs tracts soient acceptés. Un vieux militant (80 ans) déclare à cette occasion : « Si j’avais su plus tôt qu’on peut militer de pareilles manières, je me serais moins fait ch.... pendant tout ce temps ! ». Le tour de table des vingt deux participants s’effectue en prenant le temps nécessaire pour que chacun s’exprime à sa manière, et avec toutes les nuances qu’il souhaite. Tout le monde écoute très attentivement, et même chaleureusement pourrait-on dire. C’est sûr, il s’est passé « quelque chose » pour ces gens-là. Il apparaît que certains n’avaient jusqu’alors aucune idée de ces check-points en Palestine. Les scénarios ont été établis à partir de la correspondance reçue par l’un des membres de la ‘troupe’ d’une française vivant sur place. Un film a aussi servi à l’information des participants, qui l’ont regardé ensemble au cours de l’une des deux répétitions. Beaucoup disent qu’ils sont entrés dans l’aventure sans très bien savoir pourquoi, attirés par ce quelque chose qui s’en dégageait. A-t-on le sentiment d’avoir contribué à l’amélioration de la situation en Palestine ? L’un des participants répond :  « Pour moi, ce n’est pas le problème ; ça m’autorise juste à me regarder le matin dans la glace sans trop de culpabilité. » Quant au noyau des organisateurs, il apparaît qu’ils a consacré l’équivalent d’un temps plein de deux mois à la préparation, à la réalisation et à l’évaluation de l’action .

 

élire, encore élire, et pourtant demeurer hors du coup ?

 

     Dans la ville où je suis en train de rédiger ces souvenirs, je dois assister tout à l’heure à une rencontre avec un groupe qui dit avoir entrepris de préparer de manière très inhabituelle de prochaines élections. « élire, encore élire, et pourtant demeurer hors du coup ? Il y a quelque chose qui cloche ! », y énonce-t-on.

     Pour ma part, je ne délègue jamais ma voix à qui prétendrait la mériter sans avoir de comptes à rendre et sans accepter d’être remis en cause en cours de mandat. Tout juste me voit-on dans un bureau de vote lorsqu’il m’est demandé de me prononcer sur quelque chose de précis. C’est ainsi que j’eus la joie de contribuer, en 2002, à l’échec - certes tout temporaire ! - du projet de constitution européenne. Joie, parce que se rendirent exceptionnellement visibles à cette occasion les deux camps en présence en France : la coalition du bem (business, état, médias) d’une part, le peuple - ô combien bariolé ! - d’autre part.

     Qu’un groupe prétende avoir inventé comment rendre démocratique une élection aux résultats confisqués d‘avance, voilà qui ne laisse pas de m’intriguer !

 

Chaque élection est un coup porté à la démocratie. 

 

- Chaque élection est un coup porté à la démocratie. 

     Bizarre ! C’est mon interlocutrice, V., qui s’exprime ainsi alors qu’elle appartient à un groupe en train de préparer ...les prochaines élections par scrutin de liste.

- Faut que tu m’expliques !

- L’on constate, me dit-elle, que la proportion d’abstentionnistes - de grévistes, serait-il plus juste de dire - croît. L’on sait aussi que, parmi eux, un tiers au moins exprime en s’abstenant un point de vue critique sur la pratique même de l’élection comme elle nous est présentée comme naturelle. L’on sait, enfin, que si parmi ceux qui s’expriment un bon nombre ne s’abstient pas c’est pour des raisons connues : peur du qu’en dira-t-on, argument-massue du ‘il y a des pays où les gens n’ont même pas le droit de vote’, etc.

Notre petit groupe s’est constitué de gens qui se demandaient comment regonfler la démocratie à partir de ce phénomène. Et nous en sommes venus à ceci : présenter des abstentionnistes comme candidats aux élections de l’an prochain.

- Pour le moins paradoxal ! Tout de même, si ‘chaque élection est un coup porté à la démocratie’, comme tu l’affirmes, je ne vois pas ce que vous allez y changer !

- Les candidats se présentent habituellement comme des conquérants faisant valoir un quasi-droit, quand ils ne s’estiment pas tout simplement propriétaires d’une part du cheptel des électeurs. L’idée n’est évidemment pas de singer ce comportement. Un candidat devrait être modeste, s’interdire de placer de soi-disant réponses avant les questions, rendre des comptes, se savoir révocable en cours de mandat, et surtout, selon nous, se considérer comme un véritable porte-parole d’autres actions démocratiques bien ancrées dans le paysage politique (et pas seulement d’intérêts individuels ou de lobbies de couloirs), etc. C’est surtout ce dernier point qui nous guide.

- Bien abstrait, tout ça ! De quels types d’actions démocratiques parles-tu ?

- Il n’en existe pas de tout faits. Nous devons donc en inventer, en même temps que se préparent ces candidatures. Elles seront, en fait, comme le recto et le verso d’une même démarche. Chaque écolier sait que, voilà deux siècles, eurent lieu en France ce qui se nomma "Cahiers de doléances". Ce fut une vaste opération de communication avant d'être opération de revendication : il s'agissait avant tout pour les doléants d'exposer au souverain la situation concrète de son royaume. Par la même occasion, l’information circula entre eux, les doléants. Or, deux cents ans plus tard, le nouveau souverain - le peuple - peine encore à être informé ! Des résultats de douteux sondages via des médias toxiques sont loin de faire l'affaire. Et s'il existe des commissions d'enquête et ce genre de choses bénies d’en haut, elles sont loin d'être à la hauteur. Ce qui fait défaut, c'est un acte collectif d'auto-information publique du souverain, autrement dit de nous autres. C’est pourquoi nous voulons expérimenter une opération cousine des cahiers de doléances. Ca s‘appellera ‘Nous autres‘.

     Devant ma perplexité, P. prend la relève.

- V. est une intello, que veux-tu ! Elle n’a pas encore appris à dire les choses simplement... Avec elle, c’est tout de suite les grands mots...

- Bon, alors, s’il te plaît, P., donne-moi une chance de comprendre comment ça se passerait concrètement.

- Nous avons un an pour préparer un grand remue-méninges. Disons que ce sera le recto dont parlait V. L’objectif est de concerner le plus possible des personnes qui s’abstiennent d’ordinaire ; mais bien sûr, les autres aussi seront concernées ! Parmi elles, nous souhaitons qu’un millier, au bas mot, mette chacun, noir sur blanc, une interrogation ou une formulation qui n’a pas cours dans le jeu politique habituel. Exemples : « La crise ? Quelles crises ? ». Ou « Quid de l’autorité ? et des autorités ? ». Ou « A quoi servent les médias ? », « Que mangerons-nous demain ? ». Etc. Ces interrogations constitueront une sorte de badge personnel de chacun/e, laquelle aura pour tâche de garder ouvert le débat sur cette question. Durant la période qui nous sépare des élections, et ne serait-ce que durant tout le mandat qui en résultera. Modestement, mais par tous les moyens possibles. En privilégiant les interrogations.

- Mais pourquoi diable lier une telle initiative à une élection ?

- Nous sommes convaincus que, si nous opérons sans lien avec un événement officiel, notre entreprise n’aura ni l’ampleur ni l’impact qu’elle devrait avoir. Le mieux, c’est de parasiter un scrutin de liste.

- Et un millier d’abstentionnistes constituera donc une liste pour se présenter à ces élections ?

- Un tirage au sort, probablement, désignera parmi les volontaires un petit nombre de ‘candidats’. Ce sera le verso de l’opération.

- Et s’ils sont élus ?

- Nous n’en sommes pas là. Il ne s’agit pas d’appliquer un plan tout fait. ‘Nous autres’ ne se préoccupe pour le moment que du démarrage. Et ça n’est pas un petit chantier !

 

Déjà post-capitaliste

 

     M. me met entre les mains un livre de Christian Arnsperger : éthique de l’existence post-capitaliste. Ouvrage original, roboratif ; je me suis promis d’aller au-delà de la première lecture, ne serait-ce que pour croiser le fer avec son approche de l’éducation, particulièrement étroite... Si j’en parle ici, c’est pour dire que cette lecture a inauguré chez moi une série de réflexions sur les « exercices » que les mystiques disent « spirituels ». Arnsperger, lui, parle d’exercices spirituels économiques et politiques. Intrigant, non ? Selon lui, « aucun exercice spirituel, qu’il soit économique ou non, ne peut offrir le moindre bienfait s’il ne propose pas, comme faisant partie de la voie, une plus grande capacité à se contenter du monde comme il va - et même, (...) à vivre comme si ce monde n’allait jamais changer ». Diantre ! Il propose de voir notre « moi capitaliste » comme un « faux moi » et de « voir enfin avec clarté, avec lucidité, sans excuses et sans blâme, nos peurs existentielles les plus profondes et à quel point il nous est difficile d’abandonner les réponses capitalistes à ces peurs. » ça mérite réflexion.

     T. me vend un livre de Roger-Pol Droit : « 101 expériences de philosophie quotidienne ». Parmi eux l’une a particulièrement retenu mon attention : « Considérer l’humanité comme une erreur. Toutefois, même après lecture de ce livre, mon ‘exercice’ préféré reste celui-ci : observer durant toute une journée ce qui m’entoure et moi-même comme appartenant à un élevage industriel d’humains. Un élevage d’humains est plus commode, à certains égards, que l’élevage de simples animaux, mais l’éleveur doit prendre les moyens - multiples - de circonvenir le risque - permanent - que le cheptel se rebelle.

 

Apprendre à désobéir

 

     Et, bizarrement, cette même semaine, je rencontre N. qui m’entreprend à peu de choses près sur le même sujet : elle appartient à un petit groupe en train d’élaborer un « manuel de désobéissance à l’usage des enfants du primaire »... Bigre !

     Certes, je partage avec elle l’opinion que l’exercice politiquement le plus souhaitable concerne la désobéissance à l’autorité dite légitime. Mais comment aborder la question avec des enfants ? A fortiori avec des enfants ayant un problème inverse, souffrant - toutes catégories sociales confondues - de ne rencontrer que des autorités faibles ou délégitimées, potentiels gibiers de prison ou de religion, selon !

     Je ne disconviens pas que l’éducation d’un enfant doive comporter l’expérience régulière de la désobéissance aux parents et aux maîtres : ça peut commencer par l‘école buissonnière, et prendre de multiples autres formes. De même est-il souhaitable qu’un adulte fasse périodiquement l’exercice de désobéir aux chefs, aux médecins, refuser une première fois de voter, s’essuyer le derrière de la main droite quand on est musulman etc. C’est ainsi que des chances existent que le flic-fantôme qui nous habite se voie défenestrer progressivement. Oui, je suis plus que d’accord, c’est là une condition pour oser prendre de la distance d’avec les flics qui nous enserrent pour de vrai, et pour - indépendamment des pressions de toutes natures auxquelles nous prêtons si facilement le flanc - oser adopter l’attitude qui nous semble juste à un moment donné, etc.

     Mais tout de même : comment rédiger pour des gosses un manuel à ce propos ? N. me répond que la difficulté est effectivement colossale, que le groupe a successivement pris le problème sous divers angles, et que rien ne prouve que, au bout de deux ans de tentatives, l’actuel soit le bon. Sa principale satisfaction : que, la durée aidant, divers adultes se soient intéressés à la démarche, en expérimentant très concrètement des recommandations avec des enfants. Des enfants pour qui ils ne constituent pas l’autorité légitime de premier rang, me précise-t-elle.

     Oui, mais : comment un professeur des écoles pourra-t-il se saisir d’un tel manuel ? Selon N., le titre n’implique aucunement que résulte de ceci un livre à destination des écoles, ‘manuel’ et ‘primaire’ n’étant là que comme pied de nez au genre officiel dit éducatif. Un livre pour les parents, alors, comme il en pleut tant ? La contradiction est tout aussi patente ! A.-F., mère de famille avec qui j‘en parle ensuite, n’admet pas cette contradiction : l’enfant disposant de cette propension à désobéir, il est tout à fait loisible au parent conscient de le guider délicatement dans cette voie ; par exemple en modulant les sanctions selon le degré de danger couru par l’enfant qui désobéit.

     Réponse de N. : peut-être n’y aura-t-il jamais de livre, tout simplement... C’est le processus de son élaboration qui, dès à présent, donne des résultats. La question a touché divers adultes que soucie la question de l’autorité, ô combien  problématique aujourd’hui. Ils y ont trouvé l’occasion d’une réflexion, d’expérimentations et d’échanges sur un mode inhabituel.

 

Un décor de démolition

 

     Une telle approche me semble un progrès par rapport aux ‘exercices’ habituellement proposés - ceux évoqués ci-dessus, mais aussi ceux qui fleurissent dans le registre du ‘développement personnel’, du yoga (yoga signifie bien ‘exercices’ non ?), etc. : celle-ci implique du réellement collectif. Loin de moi, pourtant, de me définir comme collectiviste ! Ma conviction est même que, sans un fort usage des richesses de l’individualisme, nous échouerons encore et toujours à renouveler politiquement nos manières tant de vivre ensemble que de progresser en affranchissement. Mais un gouffre sépare l’individualisme de l’égotisme !

     Je nommerais volontiers « communauté intentionnelle » la grappe des personnes que me décrit N., celles impliquées de près ou de loin dans la rédaction-expérimentation du ‘livre’ sans pourtant mener leurs actions en commun.

     Une autre modalité existe, déjà pas mal fréquentée, ce me semble. Dans toutes les structures supposées ‘s’occuper’ des non-normaux (handicapés, malades, vieux, et j’en passe), un méchant processus de normalisation est en route : priorité à la comptabilisation. A Bruxelles, en 2008, des infirmières défilèrent avec, en pendentifs de poitrine non pas des stéthoscopes, mais des claviers d’ordinateurs. L’attention thérapeutique que le médecin ne peut plus porter, les infirmiers en dispensaient encore il y a peu ; désormais, quand il en reste quelques chose, cela se situe plutôt du côté des aides-soignants, pourtant ni formés ni payés pour ça. Eh bien, dans ce décor de démolition, il existe des rebelles tranquilles, pas forcément politisés, estimant de leur devoir de rendre ces structures à leur vocation nominale, et pour ce faire inventent des mises en œuvre objectivement subversives. Des réseaux s’y emploient. Où l’on pratique aussi des exercices. Non seulement ensemble, mais interactivement.

     Visibles, ces réseaux ?  Pas tellement semble-t-il, plutôt souterrains. Parfois sous des noms qui trompent un temps. Mais peut-être un temps seulement, hélas ! La piste fructueuse se situera-t-elle donc hors des univers professionnels ?

 

Des communautés intentionnelles ?

 

     Depuis tout ce temps que s’exerce ma sensibilité politique ou para-, j’ai vu des gens se regrouper en diverses organisations : partis, syndicats, associations, clubs, comités, collectifs, etc.

     Il me semble patent que toutes ces formes d’organisation formelles ont en commun de se prêter à deux types d’influences qui les encombrent, leur font accorder trop d’importance à ce qui n’est pas leur objet de départ, les handicapent et parfois les paralysent : celles en provenance de l’environnement et celles d’égos à l’affût de terrains de jeu.

     Du coup, mes récentes rencontres et découvertes me conduisent à m’interroger sur une alternative que représenteraient des « communautés intentionnelles / non proximales » (terminologie susceptible d’évoluer largement !).

     Une rencontre récente est venue renforcer ma conviction - déjà forte - qu’il y a quelque chose à rechercher de ce côté-là.

     L’origine de l’histoire réside dans un festival de théâtre de dix jours, organisé il y a six ans sans structure porteuse, sans subvention, sans sponsor, sans affiches et ...sans droit d’entrée aux spectacles. Je décrirai une autre fois quels furent, à ce que j’en ai compris, les principes, l’organisation et le déroulement de ce festival : c’est, cette fois, ce qui s’ensuivit qui m’intéresse.

     Une grappe de personnes motivées par le style de ce festival décidèrent de prendre le relais des organisateurs initiaux, qui n’envisageaient pas de réitérer l’événement. Premiers sujets de débat : fallait-il ou non constituer une association ad hoc ? fallait-il ou non rechercher des sources de financement ? Questions classiquement spontanées.

     La réponse fut qu’il n’y aurait ni association - partant pas de président -, ni recherche de fonds. Le résultat en est, six ans plus tard, que le groupe des personnes concernées, bien que s’étant réduit, montre toujours une belle vitalité, après avoir organisé au fil du temps, non plus des festivals de théâtre, mais divers petits événements : conférences, concours de soupes, rencontres de poésie, spectacles de théâtre, sorties en divers genres, etc. Le principe en a été : si l’un des membres concocte un projet, il le propose aux autres pour savoir si ces autres voudront bien l’aider à le réaliser. Et si les forces sont suffisantes, hop, ça se met en place !

     Ce que j’ai pu constater en dînant joyeusement un soir avec une bonne partie des personnes concernées c’est que la diversité des membres le dispute à leur cohérence. Dit autrement : le laminage ‘naturel’ des individualités dans les groupes organisés usuellement semble avoir été contrecarré ici, grâce à l’absence d’organisation formelle.

 

Certains espoirs d’autrefois sont tournés en dérision

 

     Prié de m’expliquer sur ma quête de situations de ce type, j’ai rédigé ceci :

‘L’oncle h., individualiste et libéral-communiste, explore ces pratiques modestes que tout un chacun peut mettre en œuvre, pas toujours seul mais parfois oui, y compris dans l’espace public de ce monde qui ne lui convient pas comme il est.’ Précision : il m’est arrivé jadis de me présenter à une élection législative au nom d’un parti. Je n’ai pas tardé à considérer qu’il y a une contradiction insoluble à vouloir changer les conditions de vie  ‘depuis le haut’. Plusieurs dizaines d’années de doutes et tâtonnements m’ont conduit à centrer mon attention sur ces micro-événements que nous pouvons provoquer assez simplement, somme toute, et pour lesquels il nous faut juste défenestrer le flic qui tente de nous gouverner.

     Pour expliciter ma démarche, je m’aide d’extraits d’une tribune parue dans un quotidien où Arlette Farge, quant à elle, écrivait - remake du célèbre ‘La France s‘ennuie’ de 68 ? - : « Les individus ne voient guère de têtes se relever, de figures se détacher pour inventer avec eux, ni de personnalités ayant le sens du rassemblement et une once de révolte. (...) L’ère de la dénonciation est elle-même sursaturée. (...) Quelque chose d’attristé étend sa longue écharpe. (...) une ombre de désespérance, la courbure des non-espoirs, l’usure des esprits, et le peu de joie à se regarder les uns les autres. (...) une quotidienneté âpre où certains mots et expressions sont devenus indicibles, archaïques, méprisés et où certains espoirs d’autrefois sont tournés en dérision. »

 

Un antilibraire

 

     T. est non seulement libraire d’occasion, mais aussi anti-libraire. Il n’est pas seulement libraire et anti-libraire : il s’est aussi constitué une belle bibliothèque personnelle de livres dissonants, à contre-courant, singuliers, dissidents, etc., tels qu’on en trouve rarement rassemblés en un même lieu.. Il ne se contente pas de s’être constitué cette bibliothèque : il la met à disposition de qui veut venir consulter. Non seulement consulter, d’ailleurs, puisque, pour peu que le visiteur le souhaite, il peut demeurer sur place, recevant le gîte et partageant le couvert. Des lieux ouverts de ce genre, est-ce si compliqué à multiplier ?

 

OGM

 

     Dans un village soumis à invasion touristique, je franchis un jour le seuil d’une maison particulière où d’autres visiteurs aussi faisaient halte. Pas d’enseigne. Qu’est-ce ? Pourquoi ce rassemblement ?

     Une construction végétale y occupait une vingtaine de mètres carrés : du bambou, du liseron, des graines de colza, un plant de ravenelle. Une petite notice précisait que cette construction voulait représenter deux des aspects de la prolifération potentielle des OGM : le gène ‘sauteur’ et la manne financière.

     Le ‘constructeur’ s’avéra appartenir plutôt à l’engeance contestataire qu’à celle se nommant artistique, bien qu’il se fût agi d’une ‘installation’ comme en exposent des galeries. Les échanges avec les visiteurs portaient, me dit-il, tantôt sur l’ordre végétal (dont les jardins), tantôt sur l’art et le végétal en son sein, tantôt sur les OGM, tantôt sur l’acte-même d’exposer : qu’un particulier puisse ainsi « publier » sa réflexion, dans sa propre salle de séjour, et sans qu’il soit besoin d’affiches ou de mises en œuvre compliquées quant à la communication, voilà qui ravissait certains visiteurs.

     Trois jeunes de passage, après un peu d’hésitation :

- Dites-nous, monsieur, vous êtes un ex-soixant’huitard ? 

     Réponse de l’interpellé :

- Ex-soixant’huitard ? ma foi, non ! Mais soixant’huitard, ça oui !

     Est-il besoin de se considérer tel pour ouvrir sa porte ?

 

étonnons-nous du Quotidien

 

     Il s’agit cette fois d’une expérience à peine rodée, mais qui retient mon attention, intitulée 'étonnons-nous du Quotidien'.

     Chaque mois, une dizaine de personnes - parfois plus, parfois moins, mais un noyau est stable - se réunissent pour une heure environ, en mettant en œuvre un principe simple : chacun relate un fait ou une situation, émanant des médias ou de sa vie quotidienne, et dont il s’étonne. Par ‘s’étonner’ ils entendent aussi bien s’émerveiller que se scandaliser. En tout cas, aiguiser son regard. Et le faire avec l’aide des autres participants.

     La règle veut que l’on ne consacre que quelques minutes, montre en mains, à l’exploration de chaque fait ou situation, et que l’on évite les grands titres des médias.

     Les quatre premières séances ont eu lieu chez des particuliers. Une migration est envisagée vers des lieux recevant du public.

     Constatation : certaines personnes ont plus de mal que d'autres à s'exprimer ainsi. Remède envisagé : qu’elles puissent compter sur d'autres participants pour les y aider. Et, à cela, des ateliers d'écriture peuvent être utiles, estiment-ils.

     A suivre...

 

Rencontrer l'auteur

 

     Ceci me rappelle une autre initiative. Dans une petite librairie - une librairie de libraire -, je découvris un jour une ‘boîte’ comportant des textes. Ceux-ci étaient écrits par des clients ou amis de la librairie. La consultation en était libre pour quiconque. Mais en emporter une copie était impossible. Seule solution pour en obtenir une : contacter directement l’auteur, dont les coordonnées étaient fournies à la demande. Directement de l’auteur au lecteur, en somme.

     But visé : mettre en contact personnel des personnes via ce média de l’écriture ; et pour cela, abolir la distance d’une revue, de l’internet, etc.

     Précision : le libraire était lui-même l’un des écrivants, capable ainsi d’exposer précisément l’optique et le processus ; là aussi, l’on abolissait les distances.

     Je ne sais ce que c’est devenu.

 

Faire ceinture

 

     Du producteur au consommateur, encore.

     Il s’agit cette fois de L,  un ami qui exerce ses talents dans la maroquinerie. Des ceintures sont exposées au choix et aux essayages de la clientèle. Quand un enfant accompagne l’un de ses parents venu se choisir une ceinture, et si celle-ci s’avère aisée à monter, L. emmène l’enfant à l’atelier et lui fait monter lui-même un article identique à celui qu’a choisi le parent. Tâtonnements et plaisir garantis !

 

Tian an men au lycée

 

     Initiative de lycéens. Le film et la photo de l’étudiant chinois qui s’était placé seul devant les chars de l’Armée, lors de la révolte de la place Tien an Men, les a sollicités. Ils se sont demandés combien d’entre eux  se seraient montrés capables d’une telle action. Résultat : pas un seul.

     Décision fut prise de rendre hommage à cet homme hors du commun. Mais comment faire ? Ils se sont dit que poser la question était en soi une manière d’attirer l’attention sur cet événement et ce courage. D’où l’idée : organiser un appel à projets dans leur entourage. Maigre récolte, mais récolte tout de même : deux scénarios de BD, une minute annuelle de silence, une simulation de l’événement dans l’une des cours du lycée.

     Eh bien, le tout trouva à se réaliser en l’espace de trois mois. Les deux BD furent très différentes : l’une s’appliquait à imaginer l’avant et l’après de l’acte courageux, vu du point de vue de l’étudiant ; l’autre élargissait le propos de manière didactique, associant à l’évocation de cette répression une information sur les milliers d’exécutions annuelles qui ont toujours cours en Chine.

 

Des lycéens hors les murs

 

     Des lycéens, encore. Initiative commune d’une demi-douzaine de jeunes fréquentant divers lycées : organiser dans l’arrière-salle d’un bistrot une exposition de leurs compétences artistiques où seraient réunis peinture, photo, musique, danse. C’est par la presse locale - comme souvent - que je prends connaissance de leur initiative : ce soir, concert de musique électro-acoustique. Il est bien rare que cette appellation concerne des concerts dans des bistrots ! Et je découvre que, ayant sollicité un compositeur de ce genre de musique pour donner un concert dans le même cadre, celui-ci avait répondu positivement, et même au-delà : « OK, un concert différent trois fois par semaine durant la durée de l’expo », soit quatre semaines. Du coup, voilà les lycéens en position de rassembler un public une douzaine de soirs ! Y vinrent jouer - et improviser - divers musiciens invités par le compositeur. Belles ambiances !

     Pas d’affiches, pas de soutien financier, pas d’association pour chapeauter l’opération. Je ne cachai pas mon admiration pour cette manière de conduire leur initiative : est-il vraiment besoin de se compliquer la vie, et d’obtenir des parrainages institutionnels ou financiers pour ainsi réussir à s’exprimer dans l’espace public ? Mon bravo les surprit quelque peu, je crois ! A vrai dire, ils n’avaient tout bonnement pas pensé y recourir.

 

Question

 

Pour continuer d’écrire, dois-je me soucier de l’écho que pourraient recevoir mes « découvertes » ici exposées ? Pas sûr.

Pas sûr que oui. Pas sûr que non. 

 

à la mémoire des radios libres

 

     Cette fois, j’y vais d’une proposition personnelle. Bien le droit, non ? Il s’agirait de commémorer les vingt ans de la « victoire », en France, des radios « libres ». Pour cela, envisager de vraies émissions pirates. Ou, si l’on est timoré, des simulations d’émissions ‘libres’.

     Par exemple, en prenant pour thème l’un des silences des médias honnis : les séances de tribunaux où l’on ‘juge’ les étrangers à la France selon des procédures d’exception.

     Marie Cosnay a assisté, durant plusieurs mois de 2008, à Bayonne, à ce genre d’audiences pour personnes en Centre de Rétention Administrative. Elle en a tiré un livre : Entre chagrin et néant. Le lisant, je me suis demandé comment propager cette information.

     Voici un cas - qui n’est pas le plus absurde - rapporté par Marie Cosnay.

« 5 septembre 2008 - Une toute jeune fille est assise. La tête baissée, les cheveux dans les yeux. Elle est étudiante à Hambourg. Elle ne savait pas qu’elle ne pouvait pas se promener dans l’espace Schengen. Elle est venue passer quelques jours dans le Sud de la France. Elle avait son billet pour rentrer à Hambourg. Elle est au CRA depuis quarante-huit heures et elle a obtenu une réadmission en Allemagne. Ce sera pour le 8 septembre. On lui explique le trajet que les autorités françaises vont lui faire faire. On la reconduira à la frontière, la laissera à Strasbourg. Après elle se débrouillera. Le billet qu’elle avait n’est évidemment plus valable. »

     Une expérience peu courante de tourisme que, de retour en Asie, elle pourra recommander…     Je vais jusqu’à imaginer un faux - oui, faux - multiplex avec de - faux - correspondants en diverses villes où des juges des détentions et des libertés - vrais, eux - s’occupent de compliquer la vie d’étrangers - tout aussi vrais.

     Si l’on ne souhaite pas une telle complexité de mise en œuvre, une heure de programme peut tout à fait être bâtie à partir des situations exposées dans le livre.

     S’y ajouteraient quelques interrogations. Surtout des interrogations : l’auditeur est bien assez grand pour effectuer le travail de réflexion complémentaire.

     Informer. Interroger. Ce que devrait faire tout média vivant de subventions au titre de la liberté de la presse, non ?

     A défaut d’émissions-pirates, des séances en salle sur une scène figurant un studio de radio.

     Bien sûr qu’une écoute via l’internet serait aujourd’hui techniquement possible. Serait-ce vraiment le mieux ? Il me semble personnellement que non. Mais, à défaut...

     Si des émissions-pirates ont lieu comme vers 1980, pourquoi des auditeurs ne se rassembleraient-ils pas en un lieu pour les recevoir collectivement ?

     Pourquoi ne pas constituer une banque de programmes élaborés spécialement pour la circonstance ? Simple critère : qu’il s’agisse de thèmes, ou d’expressions, n’ayant habituellement pas place dans les médias honnis.

     Des radios ayant bénéficié de l’ « ouverture des ondes » pourraient bien prêter main forte, non ?

     Commencer par constituer un bouquet d’une dizaine de programmes de ce type, librement diffusables à des initiateurs d’émissions-pirates. Pour cette fonction, oui, l’internet est tout indiqué !

 

Y a-t-il une vie après les Amap ?

 

     Je lis une interview de Coline Serrault dans laquelle elle déclare :

« Il faut aller pas à pas. Première chose : exiger dans chaque village, chaque commune, chaque département l’autonomie alimentaire. Exiger qu’un paysan n’ait pas le droit de toucher une subvention sans faire - en plus de vendre sa récolte -  une alimentation bio pour nourrir la population locale. Et on la lui achètera, sa production. Mais puisqu’on subventionne, subventionnons cela. Nourrissons les humains, pas les multinationales. Avec l’argent des Français, nourrissons les Français. C’est la première exigence. Si votre village s’appelle Marey-sur-Tille, eh bien exigez qu’il y ait à Marey-sur-Tille 1,2,3 ou 4 hectares qui soient consacrées à la culture vivrière en bio pour votre population et subventionnée à la même hauteur que l’équivalent en production d’une autre culture. Si on fait ça, on fait tout de suite sauter le système. Et qui peut se prononcer contre une telle idée ? »

Certes !

     La dynamique des Amap, à côté de ça ? Eh bien, les Amap primo apportent la preuve que l’idée n’est pas stupide. Deuxio elles sont déjà en activité, et ce à l’initiative de gens réels, sans le détour par une revendication.

     J’essaie, dans ces « Découvertes contemporaines », de privilégier ce qu’il est possible à tout un chacun d’entreprendre sans grands moyens et sans délai. Il est pourtant bienvenu que d’autres désignent un horizon plus vaste, dans lequel entrevoir un aboutissement à ces démarches personnelles ! Il en est ainsi des Amap et de la perspective ouverte par C. Serrault.

 

Les vaches et la terre

 

     Rencontre avec J.R., aujourd’hui berger.

     Enfant, il a - comme tant d’autres gosses de paysans - un rapport étroit avec les vaches limousines de la ferme paternelle, au nombre d’une quarantaine. Il adore en outre la liberté que procure cet espace : cabanes dans les arbres, etc.

     Problème avec le père, qui décrète ‘Tu feras des études’, décision assortie d’un ‘Plus une bête ici, c’est pas viable.’ J.-R. étudie à regret, jusqu’à devenir docteur en biochimie. Avant même le doctorat, il est déterminé à revenir à la vie qu’il a connue, enfant. Comment ? à ce stade, ça n’est pas encore très clair pour lui.

     Vient le moment du premier emploi : CNRS. Là, selon son expression, il est prié de s’adonner à la « science de la guerre ». Et il décide : désormais, il sera berger.

- Si j’étais resté à la ferme, je serais devenu un sauvage comme ceux qui l’ont reprise, qui l’ont agrandie, qui ont défriché : un abruti de profiteur.

- Alors : Merci papa ?

- Peut-être. Le détour par la biochimie m’a effectivement permis de revenir à l’univers dans lequel j’ai toujours voulu vivre : les vaches et la terre. En me moquant bien des questions de ‘viabilité’. Et j’essaie de faire passer le message dans les écoles : avec les enfants, je pose la question « C’est quoi, un berger ? ». En clair : il ne suffit pas d’être parmi les bêtes pour mériter ce titre de berger !

 

Maman fait de l'opposition 

 

Quand je fais la connaissance de C., elle est vendeuse en vêtements, après avoir fait des remplacements de facteur.

     Ce qu’elle veut, c’est étudier les arts plastiques. Elle-même peint. Oui mais voilà : sa mère s’oppose à ce type d‘études : c’est pas sérieux, ma fille, fais donc du droit ! C. a effectivement commencé une année de droit, mais elle a vite abandonné. Du coup, le financement maternel s’est tari.

     Je la rencontre à nouveau quelques mois plus tard : devant sa détermination, maman a cédé. C. entrera effectivement dans une filière d’arts plastiques. Par chance, un pont existe avec l’école des Beaux-arts voisine : elle nourrit l’espoir d’y être admise.

 

Finalement papa est OK

 

     Une jeune amie me demanda, un jour, d’observer une manifestation d’étudiants dans laquelle elle avait une part de responsabilité : elle voulait connaître mon avis d‘ancien.

     Ce soir-là, je croise à diverses reprises une jeune fille photographiant ladite manifestation. Nous échangeons quelques observations sur ce qui se déroule sous nos yeux. Et nous faisons un peu connaissance.

     B. est serveuse à temps partiel dans un restaurant ‘Routiers’. Elle a tenté diverses orientations : filière Beaux-arts, abandonnée au bout de deux ans, puis agent de tourisme rural, diplôme à la clef.

     De fil en aiguille, elle découvre que ce qu’elle veut au fond d’elle-même, c’est connaître le monde, donc voyager.

     Ses parents, eux, la pressent de prendre - non pas rechercher : prendre ! - un job sérieux: une petite boîte de sa commune est disposée à l’embaucher en CDI. Pourquoi donc n’accepte-t-elle pas ?  « Si tu travailles, tu pourras te payer les voyages que tu veux ! » Selon B. deux choses importent à ses parents : qu’elle ne prenne pas de risques quant à son avenir, oui, mais aussi que la famille ne soit pas vue d‘un drôle d’œil par le voisinage.

     Je revois B. quelques mois plus tard. Cette fois, elle est vendeuse de chaussures. En CDD.

- Quoi de neuf ?

- Eh bien, tout !

- Explique !

- Il y a une semaine, ma mère m’appelle : ‘Alors, tu te décides ? Tu ne vas pas vendre des chaussures toute ta vie ! Un CDD alors qu’on te propose un CDI ? Comment vas-tu faire pour te payer quinze jours en Thaïlande ?’ J’ai dû lui répéter que pour moi, un aller-retour en Thaïlande ce n’est pas ce que j’appelle découvrir le monde ! Et ma mère éclate en sanglots. Puis, plus personne au bout du fil. Au bout d’une minute, c’est mon père qui prend le relais : ‘Faut que je te dise, B.: ce que tu veux faire, c’est ce que j’ai toujours rêvé de faire moi aussi. Oui mais voilà, moi je suis un lâche. Alors, sache une chose : désormais nous allons te soutenir dans tes projets.’

     Après un mail reçu de Slovaquie où B. et son compagnon effectuaient un séjour de coopération, je n’ai plus rien su de cette aventure...

 

Encore les parents...

 

     Autre situation, autre attitude. Z., qui veut étudier le cinéma, affronte moins frontalement ses parents : ‘Je prépare d’abord un diplôme de documentaliste, OK, mais ensuite, je m’oriente vers le cinéma !’ Son espoir : prendre pied dans ce secteur, en travaillant d’abord en tant que documentaliste. Et devenir, plus tard, ...documentariste.

 

Mon dieu quel malheur d'avoir une maman fonctionnaire !

 

     Il y a peu, alors qu’une guichetière de La Poste s’affairait à une opération que je lui avais demandé d’effectuer, la conversation s’engagea - pourquoi/comment ? je n’en ai pas gardé le souvenir - sur la difficulté pour des jeunes de choisir une orientation professionnelle, confrontés à la forte - et, à n’en pas douter, aimante - pression de leurs parents. Mon interlocutrice prit le temps de m’exposer le cas de sa propre fille, quatre ans plus tôt, désireuse d’étudier l’allemand, langue et pays qu’elle adore. ‘L’allemand ? Mais à quoi cela te conduira, ma pauvre fille ? Prépare donc plutôt un concours d’infirmière ! Des infirmières, on en aura toujours besoin...’

     La file d’attente au guichet s’allonge, mais je parviens à ne pas m’en soucier : mes rencontres ne cessent décidément de me servir sur un plateau des exemples de confrontations parents/enfants quant aux études !

- Eh bien, résultat ?

- Le résultat, c’est qu’elle est effectivement devenue infirmière. Mais je dois reconnaître que je m’étais tout de même bien trompée. Moi, postière, ce que j’imaginais pour ma fille c’était un poste d’infirmière dans le public. Or, oui, elle a bien effectué quelques contrats de ci-delà, dans le public comme dans le privé ; mais de là à espérer une carrière dans la fonction publique...

 

Court hommage appuyé à Christiane Rochefort

 

     Jean-Bernard Pouy décrit, dans Cinq nazes des itinéraires déviants, dont celui d’un coureur cycliste quittant le métier en pleine course, pour converger - sans le savoir d‘avance - avec quatre autres itinéraires tout aussi peu habituels sur un quai de Saint Nazaire. D’où le titre. Mais, dans ce même domaine, j’offre plutôt à mes amis Encore heureux qu’on va vers l’été de Christiane Rochefort, ou son Printemps au parking, qu’on trouve aisément en livres d’occasion (faut tout de même pas se ruiner, même pour des amis...) !

 

Un habitat simple ...pas simple !

 

     L. est nomade comme moi. Un jour l’envie lui a pris de se semi-sédentariser. Pourquoi ne pas poser une yourte dans la nature ? Pas chère à l’achat, encore moins chère si l’on prête main-forte aux professionnels qui la réalisent, avait-il entendu dire.

     Il était, somme toute, dans l’air du temps...

     Et il ne tarda pas à trouver un lieu correspondant à ses vœux. Chance : l’agriculteur à qui appartenait le terrain convoité ne l’exploitait ni n’avait l’intention de le faire. Le louer ? Ils tombèrent d’accord.

     La suite allait se montrer autrement plus corsée ! Une yourte, en effet, si elle est implantée plus de trois mois d’affilée, exige un permis. Pas ‘de construire’, - puisqu’il s’agit non d’une construction mais d’une installation - mais un permis tout de même. L. allait ainsi - comme tant d’autres, apparemment - découvrir le véritable labyrinthe administratif que doit parcourir, s’il en a la force, tout candidat à un habitat simple. Beaucoup abandonnent.

     Quémander une autorisation ? Ce fut la première intention de L. Il se rendit vite compte qu’existe tout un arsenal de motifs à la disposition d’un maire ou d’une administration refusant d’autoriser ce genre d’habitat. Précisément dans le département où se trouvait ‘son’ terrain, L. découvrit que, au nom d’une lutte ‘anticabanisation’, moult institutions venaient de se liguer pour éradiquer ce qu’elles qualifiaient d’habitat indigne. Pensez donc : un logement sans toilettes dévoreuses d’eau potable, c’est à coup sûr ‘indigne’.

     Implanter sa yourte sans autorisation ? Certains le faisaient apparemment. Il y en avait même qui parvenaient à mettre le droit de leur côté en atteignant le délai de prescription. Mais d’autres exemples ne poussaient vraiment pas à la sérénité : alors même que toute une commune voisine, conseil municipal en tête, le soutenait, un couple de ‘yourtiens’ se voyait condamné à abandonner son habitat - logement, potager, etc. - en grande partie auto-construit.

     Début de découragement chez L. Pourtant, l’idée continuait de faire tranquillement son chemin. Durant près de deux ans, L. se mit à rencontrer des personnes et des groupes impliqués dans des situations comparables. Quelques réussites, certes, mais le reste : d’ubuesque à cauchemardesque ! En tout cas, désespérant.

     Un beau matin, alors qu’il visitait à nouveau ‘son’ terrain, les choses commencèrent de lui apparaître sous un autre jour. Un Grenelle de l’Environnement n’était-il pas passé par là ? Parallèlement, l’information ne devenait-elle pas abondante quant aux nouvelles manières d’appréhender l’approvisionnement en eau, l’équipement en énergie, le traitement des eaux usées, etc., tous points sur lesquels s’étaient appuyés maints refus d’autorisation pour l’habitat simple ? Une évolution ne se dessinait-elle pas parmi des décisionnaires au sein d’institutions ? L’époque devenait favorable à une révision des normes. La pression augmentait également du côté de personnes recherchant un ‘habitat groupé’ basé sur une éthique commune. En patientant quelques années encore, il y avait de fortes chances qu’un projet comme le sien ne fasse plus peur.

     De même qu’il existe une offre pléthorique de terrains de camping à la disposition des vacanciers disposant d’une tente ou d’une caravane, en était venu à se dire L., pourquoi n’existerait-il pas bientôt une offre de terrains pour un habitat à l’année, selon des normes adaptées à l’habitat simple ? Certes, avait-il appris, de tels terrains existent, à l’intention de gens du voyage, nommés ‘terrains familiaux‘. Pourquoi la réglementation n’étendrait-elle pas à quiconque un tel droit d’aménager ? Pourquoi ne pas envisager un ‘droit d’occupation du sol’ bien différent des permis de construire ?

     Et voilà notre L. en train, ce beau matin-là, de se dire que, après s’être frotté à diverses situations dans lesquelles se trouvent des ‘demandeurs d’habitats simples’, il était temps pour lui de rencontrer d’autres types de personnes ou d’institutions aptes à concocter, cette fois, une offre en bonne et due forme à l’intention de ces demandeurs.

     Qui donc ? Des agriculteurs comme celui avec qui il avait déjà passé un accord, par exemple. En envisageant avec eux le parti qu’ils pourraient tirer - dans la situation d’incertitude dans laquelle se trouve plongée l’agriculture ‘pétrolière’ prévalant depuis un demi-siècle dans ce pays - d’une activité complémentaire répondant au besoin de plus de nature dont font preuve les urbains. L’habitat simple étant, selon L., en phase avec ce besoin.

     Mais aussi des collectivités locales. Un coin de forêt communale peut se montrer adapté à de telles implantations. Or de plus en plus d’élus se montrent convaincus non seulement que des modifications de nos modes de vie ‘pétroliers’ sont indispensables volens nolens, mais aussi que l’habitat simple constitue une opportunité extraordinaire pour répondre aux besoins de logement dans ce pays.

     J’écoute l’argumentation enflammée de L. Même si je ne suis pas le mieux placé pour en juger, je lui trouve beaucoup de bon sens. J’en viens même à me dire que j’observerais bien les résultats d’une telle évolution, car l’envie de me semi-sédentariser pointe aussi chez moi le bout de son nez... Et pourtant, j’hésite à partager ce bel optimisme : décourager n’est-il pas - avec faire peur - un moyen confortable de gouverner ? Même si, à trop décourager, un pouvoir peut en venir à exaspérer, il peut toujours espérer que cette exaspération demeure muette.

     Quelles formes exactes pourraient prendre donc ces ‘offres d’habitat simples’ ? A cette question, L. me répond : ‘Prouvons le mouvement en marchant. L’aventure ne fait que commencer !’

 

Tri les déchets, boulevard du bluff

 

     X. est une rebelle. Oh, elle n’arbore pas plus l’effigie du Che qu’elle ne pose d’explosifs sur les voies ferrées comme le firent bien des résistants de ce pays. Elle n’appartient non plus à aucune organisation de révolutionnaires. Tout simplement, elle refuse de trier : une rebelle tranquille qui refuse tout simplement de trier ses déchets.

     En réalité, elle n’a pas toujours été telle. Née dans un milieu conventionnel, sa première action autonome fut même d’être une ‘mademoiselle trieuse’ dont se gobergeaient les autres membres de la famille.

     Puis candidate à être ‘ambassadrice du tri‘.

- Est-ce parce que tu n’as pas eu ce job que tu es devenue adversaire du tri ?

- Je le serais devenue de toute façon, et peut-être même plus vite, si j’étais entrée dans ce tralala.

- ça t’a pris tout d’un coup, toi l’écolo éveillée qui triais le verre et le plastique avant tout le monde ?

- J’ai eu l’occasion de voyager en Allemagne. Là-bas, j’ai vu des gens en train de défaire les emballages à la sortie-même des hypermarchés. Le tas, en fin de journée, était impressionnant ! ça a été le déclic.

- J’ai pris violemment conscience que l’industrie produit de l’inutile, et de l’inutile polluant, tout simplement parce que ça arrange ses affaires. Du coup, mes bonnes intentions concernant la ‘valorisation’ des déchets se sont coloriées différemment ! En triant, j’alimentais la machinerie. Non seulement j’acceptais la logique des emballages perdus, mais je travaillais gratuitement pour des intérêts qui sont grosso modo les mêmes que ceux qui polluent. Mieux : j’apportais un matériau gratuit à une chaîne qui allait en faire son beurre ! J’étais devenue un rouage. Et pas seulement de la machinerie, de la ...machination !

- Et, du coup, tu as cessé de trier ?

- Oui, parce que j’estime que nous avons mieux à faire que d’épuiser ce qu’il nous reste d’énergie à autre chose que ces intérêts qui ne sont pas les nôtres ! Mais ça n’est pas si confortable ! Je suis sans cesse en butte, autour de moi,  à l’’écologiquement correct’ qui en vient à constituer une seconde ‘pensée unique‘.

- Euh ! Tu exagères, non ?

- Pas vraiment ! A quelques-uns, nous allons de temps en temps en sortie d’hypermarché proposer aux personnes de laisser sur place le plus d’emballages possibles. Sans les trier, bien sûr, et sans les évacuer non plus. Jusqu’à présent, la direction nous a laissés tranquilles ; nous savons qu’en fin de journée une belle machine vient tout ramasser comme si de rien n’était. Mais ce sont de bonnes âmes écolo - des intégristes, selon moi - qui voient notre action d’un sale œil : pas moyen de leur faire entendre ne serait-ce que quelques bribes de notre raisonnement ! Le slogan ‘Ma planète’ génère vraiment de l’obscurantisme... Nous avons même eu maille à partir avec des organisations qui voulaient prendre notre place en nous corrigeant, autrement dit ...en triant !

 

Faire craquer les coutures du prêt-à-penser

 

     A propos de ‘pensée unique’, je me souviens avoir assisté, il y a quelques années à un événement au sein d’un lycée catholique. Du beau monde était présent, député, maire, etc. La directrice, dans son discours, eut cette phrase à laquelle je ne me serais vraiment pas attendu : ‘Nous sommes là pour faire craquer les coutures du prêt-à-penser’. Outre que la formule tenait la route, j’ai trouvé ça osé.

     Il n’y eut aucun frémissement dans l’assistance, le cocktail a suivi, etc.

     Quelques semaines plus tard, je me suis trouvé en désaccord avec T., quand à l’écoute de récit il estima ce propos sans portée. ‘N’importe qui peut prétendre participer à l’émancipation des jeunes ! L’enseignement public, aussi, le radote à tout bout de champ, mais qu’est-ce que ça change ?’.

     De fait, l’école pousse-t-elle le jeune à accroître sans fin les moyens d’action sur sa propre vie ?

     Pour ma part, je me réjouis tout de même de ces propos d’une directrice d’établissement, en m’étonnant d’ailleurs de les trouver détonants...

     J’ai la conviction que l’appareil - la machinerie, la machination ? - nous conduit, tout jeunes, à « aimer nos chaînes jusqu’à ce qu’elles nous semblent les tendres bras d’une mère », selon le propos de P.S. Kogan, d’une mère à qui l’on doit oublier de désobéir...

     D’où vient-il donc que - l’expérience du ‘jeu de la mort’ était décidément très instructif - 6 d’entre nous sur 10 sommes capables de nous transformer en bourreaux sur un simple ordre même pas assorti de menace de châtiment ?

     Un remarquable enregistrement de Jacques Duez, dans sa classe, montre un jeune de dix ans environ se déclarant, s’il était bourreau, prêt à exécuter quelqu’un qu’il connaît. Il faut, toutes affaires cessantes, voir les documents que cet étonnant pédagogue - un autre ‘maître ignorant’ - a accumulés durant trente ans en donnant la parole à des élèves du primaire. On se prend à admettre que l’attitude des puer (érasme) devant l’existence peut bel et bien constituer la base de tout enseignement à cet âge !

     Tout au contraire, c’est un infans perpétué que produit indéfiniment l’appareil scolaire. Comment s’étonner, alors, des comportements si parfaitement infantiles de dirigeants : s’ils sont au faîte d’édifices d’infantilisation généralisée, serait-ce qu’ils ont donné assez de gages de conformité au modèle ?

     Il y a une dizaine d’années, moi qui écris ici, j’avais utilisé mon plus beau clavier pour écrire à un ministre en charge de calmer l’opinion par un ‘nous allons nous attaquer à la violence à l’école’. Au cours de sa présentation au Parlement, il s’était trouvé - rien de bien nouveau... - face à des élus entravant son discours. On eût dit des potaches, à cette différence près que le ministre disposait pour le soutenir du marteau d’un vigile - le président de l’Assemblée -, ressource dont ne dispose pas encore – dieu merci ! - dans sa classe un/e prof ordinaire... Je rendais seulement compte au ministre de ce parallèle et, ma foi, j’eus aimé lire sa réponse !

 

Théâtre de rue

 

     Quartier des étangs. Une rue de grande capitale qui descend descend descend, jusqu’à enjamber une voie de chemin de fer désaffectée. Une petite salle de théâtre au programme très dense. Il est 17 heures. C’est l’heure où, chaque dimanche depuis un mois, sont sur scène non pas des intermittents du spectacle, mais des habitants de la rue.

     Il y a un an, l’un des nouveaux habitants, V., avisant ce théâtre, s’en alla proposer à la tenancière, accueillante, brune, le regard lumineux, casquette, lobes d’oreilles cliquetant d’anneaux - je tiens de lui cette description - d’y tenir durant deux mois un pari osé : faire jouer chaque semaine des habitants du quartier.

     V. ne manque pas de culot : un feuilleton en huit représentations, faut oser ! C’est aujourd’hui la quatrième des huit. Le lecteur comprendra que mon esprit fouineur, alerté par des affichettes dans les bistrots du quartier, m’ait conduit ici.

     Voici un juge, un procureur et quatre témoins interprétant 20 minutes de Blau Bart, un récit de Max Frisch. J’entends en filigrane le propos de Karel Ménine dans son La main dans le sac : la Justice peut-elle vraiment juger ?

Le public, manifestement en majorité des étangs, applaudit de bon cœur ; certains d’entre eux, appendrai-je, étaient sur scène un dimanche précédent. Pour ma part, je trouve ça pas mal du tout, et je ne chipote pas non plus sur mes applaudissements ! Un ‘témoin’ pleure.

- Combien de répétitions ?

- Pour les ‘témoins‘, une seule, ce matin même. Les deux autres personnages sont joués par des personnes qui ont embarqué dans l’aventure depuis plusieurs mois, et qui ont participé, eux, à des entraînements plus intenses.

- Les quatre témoins étaient déjà familiers de la scène ?

- Nullement ! Mais puisqu’en tant que témoin, vous êtes susceptible d’être impressionné par un tribunal, des débutants complets sont mieux adaptés pour ces rôles. Dans les deux cas, vous êtes en scène. Aucun acteur professionnel ne trouverait l’expression de voix et les hésitations qu’adopte le plus naturellement du monde un débutant complet, surtout s’il ne s’est quasiment pas entraîné au préalable !

- Et pour vous, V., combien de temps passé ?

- A peu près un mi-temps, sur dix mois. Il a fallu dégonfler des suspicions, expliquer, parler, visiter, motiver, éviter les écueils. J’en ai vu du monde ! Et puis organiser. Et puis accompagner...

- Le but de tout ça ?

- D’abord nous amuser, ce qui est déjà pas mal ! Mais ce qui était espéré en outre a bien fonctionné : de fil en aiguille, les ‘volontaires du dimanche’ - comme ils en sont venus à se nommer - ont été de plus en plus nombreux. La terrible glace ordinaire commence à se rompre dans la rue, c’est sûr. Ce qui fait que, pour les prochains épisodes, la salle va être trop petite, j’en ai  peur !

- Peur ?

- Façon de parler...

- Vous avez inventé ça en claquant dans les doigts ?

- La toute première fois, oui, c’était un peu comme ça. Mais c’est, maintenant, la troisième fois que j’expérimente le processus. à chaque fois, le même résultat : des gens heureux de réussir bellement des choses dont, encore quelques heures auparavant, ils avaient du mal à s’imaginer capables...

- Les précédentes fois, c’était dans quels contextes ?

- Je suis familier d’interventions sauvages dans des collèges et lycées, et Blaubart a déjà été mis en œuvre dans ce contexte. Mais je ne fais pas de fixette sur ce texte, ni même sur le théâtre !

- Interventions sauvages ?

- Oui, la plupart du temps, même quand ça démarre avec la caution de la direction, il vient un moment où ça dérange. Au point qu’on m’a plusieurs fois prié de cesser. Bien évidemment je refuse.

- Qu’est-ce qui dérange ?

- C’est clair que les artistes que l’on aimerait avoir sous la main, dans ces milieux, c’est l’équivalent des chansonniers au front durant la guerre : quelque chose qui n’aie rien à voir avec ce que les gens font là ; que ça soit ‘autre chose’. Moi, ça ne me convient pas. Si je n’avais pas pu toucher du doigt ce qui se passe - ce qui se passe d’incroyable ! - quand on fait confiance à chacun pour qu’il prenne son envol, je ne serais peut-être pas si exigeant. Mais j’en ai fait l’expérience, y compris, bien sûr avec des jeunes réputés en échec ! ça vous marque à vie, ça !

 

Bauer, Duran, même combat

 

     Enric Duran est célèbre pour avoir extorqué de grosses sommes d’argent à des banques catalanes pour les redistribuer (le con !). C’est, bien entendu, sans commune mesure avec V. et son initiative au quartier des étangs. L’œuvre de Duran se rapproche plutôt de celle de Charlie Bauer, à Nice, qui arrêtait des trains de marchandises et pillait des rues commerçantes, lui aussi pour redistribuer les marchandises ainsi acquises.

     Malgré le gouffre qui sépare Duran et Bauer d’une part, de V. d’autre part, il me semble qu’existe un rapport fondamental : les œuvres et pratiques culturelles, elles aussi, sont faites par et pour une minorité.

     Aucune vulgarisation sur le mode gentillet courant ne peut y donner accès à qui n’est pas né dedans.

     Mais elles peuvent se conquérir, elles aussi !

 

Management participatif

 

     C’est après avoir lu - et, manifestement, relu ! - Mon colonel de Francis Zamponi, que I. a commencé à se poser des questions sur ce dans quoi il venait de s’engager allègrement.

     I. est cadre informatique dans une PME d’’énergies renouvelables’ - comme il est de bon ton de dire aujourd’hui, puisqu’’énergie solaire’ ne fait plus autant d’effet - dont le management vient de se voir bouleverser. Déménagement, changement de majorité dans l’actionnariat, prévision de rachat par un grand groupe, tout cela a contribué à modifier l’ambiance dans la boîte. Le racheteur potentiel est un groupe international, originellement axé sur la chimie fine, qui développa ensuite un très profitable secteur pharmaceutique. Et c’est ce très profitable secteur pharma qu’il vient de revendre cher pour - dit le communiqué récemment publié - se lancer dans ce secteur tout nouveau pour lui. Le business ayant ses exigences, il va de soi que les actionnaires ne vont pas admettre de ne rien palper durant la période d’apprentissage ! Le groupe va donc faire comme Microsoft quand, l’internet sortant brusquement de ses langes, Gates découvrit n’avoir rigoureusement rien de profitable dans ce domaine en rayon, et se mit à racheter des tas de petites boîtes alentour, et même plus loin.

     C’est en ces termes qu’I. analyse le contexte de l’entreprise où il a gravi plusieurs échelons en dix ans.

     Le tout nouveau modèle de management n’était jusqu’ici pas pour lui déplaire, loin de là. La direction prêche, en effet, un management participatif : les orientations, les décisions, tout ça doit désormais se faire en concertation. Elle ajoute tout de même : ‘participatif, quand c’est possible’. En réalité, ce nouveau style se présente dans les faits comme une gratification pour certains : la plupart des cadres, certains personnels non cadres s’ils ont un type de contrat bien précis, et aussi certains services mais pas tous.

- Que voulez-vous, hé, on ne donne pas de la confiture aux cochons !

- Mais aujourd’hui, pour vous, le charme est rompu ?

- Quelque chose est en train de se passer, c’est sûr. Je ne peux pas le nier, c’est vrai qu’il est motivant de voir cesser des décisions pas toujours compréhensibles. Avoir son mot à dire, constater qu’une plus grande part de nos ressources personnelles est ainsi prise en compte, exister davantage tout simplement, tout ça fait que j’ai recommencé à engager la semaine de travail avec plaisir. ça ne m’était plus arrivé depuis longtemps. Un peu comme quand j’étais débutant, mais avec quelque chose en plus, comme à un degré au-dessus.

- Et pourtant... ?

- Pourtant, oui, depuis quelques jours, c’est comme si un voile s’était déchiré devant moi. Difficile d’expliquer. C’est ce fichu livre qui a tout déclenché. Je me suis reconnu dans le personnage du roman de Zamponi et, depuis, j’ai quelques difficultés à me situer. Je suis troublé. Profondément troublé.

Vous avez déjà bossé dans des entreprises, vous ?

- Dans plusieurs grandes, oui.

- En ce cas, vous savez combien, dans des situations comme celle que je connais, on se trouve bien seul. Personne à qui parler réellement. Que l’ambiance soit ’participative’ ou non n’y change rien. Je pense que je vais demander une année sabbatique. Prendre du recul. Bizarrement, le nouveau style a regonflé chez moi l’espoir que l’on peut vivre sa vie sans renoncer ni à ses convictions, ni à ses aspirations. Au fil du temps, le train-train m’avait fait considérer tout ça comme un rêve de jeunesse, un mirage. Je n’y pensais même plus. Quand a débarqué ce nouveau style dans l’entreprise, j’avais tendance à n’en capter que le bon côté. Et ça m’a boosté. Je me suis senti revivre. Et puis soudain, crac ! Impression d’avoir donné dans le panneau. Lourdement.

 

Consensus

 

     Sur un sujet voisin, K. me narre son expérience d’une vie de groupe où le consensus est la règle. Cette fois, il ne s’agit pas d‘une PME., mais de cinq petites activités distinctes se déroulant en un même lieu, où habitent ensemble la vingtaine de personnes impliquées dans ces activités ainsi que leurs proches. Une affinité les a rassemblés, et la collectivité existe réellement sous cette forme depuis six ans. Les débuts ont été vécus dans l’enthousiasme, puis est venu planer une sorte de désenchantement. Au cours de la dernière année, décision fut prise de prendre le taureau par les cornes, et le mot d’ordre fut désormais : consensus.

     Pas facile, si j’ai bien compris ! Petite révolution, même. Et beaucoup de travail en plus. Mais la collectivité est toujours au complet. Bien vaillante, ai-je même l’impression.

     Ce que j’en ai compris - le livre de Jack Reed m’y a aidé - est que les ‘décisions par consensus’ ne sont que la résultante d’un mode de fonctionnement. Celui-ci exige que les ‘petites choses’, celles qui finissent par s’accumuler mais qui, ordinairement restent longtemps dans l’ombre, inexprimées, soient mises en lumière aussi vite que possible. ‘Pourquoi, je me mets en recul sur ce coup-là ?’ ‘Comment se fait-il que cette situation me pèse tant ?’ ou ‘Machin commence à me taper sur les nerfs’, ‘La décision a été prise à un moment où je n’étais pas là, et ça commence à bien faire !‘, mais aussi ‘J’ai envie de dire que je me sens particulièrement bien avec vous ce matin’, etc.

     Moi, ça me ‘parle’, cette façon de faire. Je me suis souvent dit que le principe de fonctionnement de bien des groupes était à l’origine de discordances évitables. Les accusations portées à tel ou telle ne reflètent bien des fois qu’une partie de la réelle situation.

     Mais irai-je pour autant y voir de plus près ?

 

Clarté - Respect - Courage - Partage

     Je rencontre L., maçon, ex-clochard de rues me dit-il, dans un bistrot où, concomitamment à l’entretien de comptoir que j’ai avec lui, prend fin une séance de café-philo.

     Son raisonnement, faut suivre pour le comprendre ! Sûr que ça ne va pas de soi...  Quel espoir a-t-il donc, lui, Luis, de pouvoir confronter sa vision du monde avec d'autres - ces philosophes-de-café, par exemple - puisque sa capacité à formuler est inhibée par sa peur a priori de n'être pas accepté comme être pensant, puisque pas raisonnant ?

     Au bout du bon bout de temps qu’il prend pour me jauger, quand son regard vers moi cesse d’être durement méfiant pour en venir à exprimer ses tripes, Luis m’expose les quatre vertus cardinales que sa difficile expérience de la vie l’a amené à privilégier et à rechercher : Clarté - Respect - Courage - Partage. énoncées telles que.

     Problème : à l’entendre, si tout le monde pensait comme lui, le monde serait enfin gouverné par l’authentique vérité. Je ne sais si les philosophes-de-café pensent ainsi de leur côté, mais il est probable que, si oui, ils n’oseraient ni l’exprimer en mots, ni même se l’avouer.

     Quant à moi-même ?

 

Bush & Blair hooligans

 

     La manière naïve qu'a L. de penser la vérité me renvoie à M. Bush, et à la vision intégriste des choses en général. Comment ne pas voir en George&Tony, les va-t’en-guerre attaquant l’Irak histoire de fiche une bonne trempe à l’adversaire - au besoin imaginaire : un peu comme on cherche à se déstresser par un ‘on va se payer du pédé’ -, comment ne pas voir en eux les grands frères du timide hooligan qui, Dans la foule du grand Mauvignier, livre ses émois d’avant la fête ?

A ce moment-là, parce que j’avais pour moi d’être le cœur battant, d’être ailleurs, de croire en la liberté et en la force que donnent la bière et les autres, quand ils sont avec nous dans la rue, que le vent les porte et que la rage et les rires les portent aussi, qu’il y a cet élan qui veut nous débarrasser de nous-mêmes et nous souffle à l’oreille que cette fois c’est possible, que tout est possible et que le monde est une gouttelette d’eau qui fait du toboggan dans notre paume, en disant, allez, amuse-toi, le cœur bat, la peau vibre(...)

     Encore le hooliganisme a-t-il moins de ressources idéologiques que les Abrahamismes de plus en plus armés au fur et à mesure qu’approche la lutte finale : il ne possède pas de Livre sacré, ne se fonde sur aucune révélation ni ne peut se targuer d’être ‘fidèle’ à plus haut que soi. Or ce qui croît dangereusement, ce sont les grisants et géants intégrismes révélés, rivalisant entre eux à l’échelle planétaire, sans commune mesure avec les violences dites ‘urbaines’, vite montées en épingle pour alimenter la - si profitable - peur. Alors, dans ce contexte, que signifie : ‘Sauver la planète’ ?

     Au fond, vouloir à tout prix être sûr de soi - hooliganisme et intégrisme confondus -, n’est-ce pas un aveu de faiblesse ?

 

Vivre avec ses conneries

 

     O. fut employé durant quelques mois dans une institution pour jeunes sous contrôle judiciaire. Ce qu’il y a le plus apprécié fut la confrontation a posteriori des points de vue.

- Dans une journée, avec la partie la plus rude de cette population, tu as parfois 5, 10, 15 décisions à prendre, dans une journée. Et pour te dépatouiller tu ne disposes que de ta petite jugeote instantanée. Forcément, tu fais de temps en temps de superbes conneries. Impossible d’y échapper !

- Par exemple ?

- Eh bien, dans le feu de la journée très bousculée, tu autorises un mineur à une chose que les règles ne permettent qu’à un majeur, ou que le juge a interdite précisément à ce jeune-là.

- Et les conséquences ?

- Quand la connerie est faite, une fois sur deux tu n’as aucune possibilité de revenir en arrière. Elle est là et elle y restera. D’autre fois, le coup peut être rattrapé. Ce que je veux te dire c’est que, dans ces circonstances, puisque tout le monde sait que les bourdes sont inévitables, et que pas plus le zéro défaut des jeunes que celui des adultes ne constitue le but, il n’y a pas de honte à mettre tout ça sur la table et, par exemple, à dire aux autres que tu as besoin d’eux pour y voir plus clair. D’ailleurs, il arrive que l’erreur ne te saute pas aux yeux et qu’il te faille le regard d’un autre pour l’identifier. Eh bien, avec ça tu peux y aller : tu sais d’avance que l’erreur est possible, mais que tu n’as pas à te laisser inhiber pour autant.

 

Vous faites erreur, Mademoiselle

 

     L’audioprothésiste qui teste mes capacités auditives, me donne les résultats de ses tests :

- Vous avez  fait 13 fautes, Monsieur.

- Ah, tiens ! des fautes ? Vous voulez parler d’erreurs, je suppose ?

- Euh ? La différence, Monsieur ? Expliquez-moi, je ne comprends pas...

- Allez-vous me condamner, au motif que j’ai commis des fautes ?

- Non, mais vous vous êtes tout de même trompé treize fois, je n’y peux rien !

- Vous voulez dire que j’ai commis treize erreurs ?

- Si vous préférez, oui, parlons d’erreurs. Mais, Monsieur, vous êtes bien chatouilleux sur les mots, je trouve !

- Allons, Mademoiselle, ça n’est pas être chatouilleux ! C’est tout le sort du monde qui en dépend, voyons !

- (elle fait silence, puis) On vous l’a déjà dit, je suppose, que vous êtes un plai-san-tin !

- Pas si vite, Mademoiselle ! Quand vous étiez à l’école, je suppose que vous vous trompiez de temps en temps. Eh bien, faisiez-vous des ‘fautes’ ou des ‘erreurs’ ?

- On m’a toujours parlé de fautes.

- Eh oui, parce que la faute permet de punir ! Alors que l’erreur permet de grandir.

- ...

     Euh ! à dire vrai, je ne suis pas absolument certain de l’avoir convaincue !

 

Cent millions de livres pour le tiers-monde au pilon

 

     Je ne suis pas ce qu’on peut appeler un grand lecteur. N’empêche que ce qu’il advient des livres m’intéresse.

     T. est un artiste tout aussi préoccupé de cette question. A l’entendre, ce sont cent millions de livres, au nombre desquels une bonne proportion dont la vie aura été archi-éphémère, qui sont passés au ‘pilon’ dans ce pays chaque année.

- Mais, puisque ça ne se déroule pas sur les places publiques, ce qui demeure dans le sous-conscient de tout un chacun, c’est que détruire ne serait-ce qu’un seul livre est criminel.

- Et toi, tu remues la plaie autour du couteau ?

- J’ai effectivement réalisé et exposé dans une médiathèque une sorte de totem où sont comme empalés une trentaine de livres, y compris des livres anciens reliés cuir.

- Les réactions ?

- Diverses. Contrastées. J’envisage de mettre bientôt le feu à un immense bûcher de livres. Le pourcentage de CO2 dans l’atmosphère s'accroîtra peut-être un peu ce jour-là.

 

Les livres, un bien commun de l'humanité ?

 

     G., lui, un beau jour, prétextant qu’il partait pour la Chine, a complètement vidé sa bibliothèque en déposant plusieurs centaines de livres dans une boulangerie, et autant dans une épicerie-café de campagne. La règle qu’il demanda d’appliquer fut celle de toute bibliothèque d’échange : le visiteur prend un livre - c’est-à-dire que le livre lui appartient désormais -, moyennant quoi il est invité à en apporter un autre lors de sa prochaine visite.

     Ma petite exploration m’a conduit à inventorier divers modes de circulation informelle et gratuite de livres entre gens qui ne se connaissent pas. Jusqu’à hier, j’en comptais quatre :

- la bibliothèque d’échanges, comme ci-dessus,

- le livre ‘laissé sur le banc’ `(à ce sujet, il s’est écrit de multiples reportages, mais j’ai eu connaissance d’une initiative moins courante, je crois : quelqu’un qui dépose ainsi des livres, au hasard, dans des boîtes aux lettres ; de même, un lecteur de l’Humanité écrit que, une fois lu son journal, il le dépose lui aussi dans une boîte aux lettres, différente chaque jour ; mieux une autre personne veut inonder de livres les boîtes aux lettres d'une ville, en forme de potlach géant),

- le livre mis en circulation - ‘circulation’ est bien le mot approprié - par quelqu’un qui y a mentionné ses propres noms et coordonnées dans le but de le récupérer en bout de course, et qui a ajouté 4 ou 5 cases où chacun des lecteurs successifs de ce livre passant de la main à la main sont priés de mentionner tout autant leurs nom et coordonnées. But : créer une petite communauté de lecteurs d’un même livre.

- Le container dédié à l’exposition de livres, bien rangés sur étagères où chacun peut en prendre comme en laisser ; initiative de la déchèterie d’une grande ville.

     Or voici qu’une fripière m’expose une nouvelle manière de faire. Chez elle, pas de livres exposés, seulement une liste de livres que tel ou tel client, ou la commerçante elle-même, souhaite voir circuler. L’on peut se renseigner dans le magasin, et prendre rang pour emprunter le livre désiré lorsqu‘il sera libre.

- Vous savez, les bonnes âmes qui me prétendent que mieux vaudrait une bibliothèque d’échange ici, j’ai appris à ne plus les écouter : ces personnes sont les premières à avoir de bonnes idées, mais les dernières à passer à l’acte. Pour les livres comme pour le reste !

 

Auto-da-fés

 

     Question : qui a une solution concernant l’excédent de livres que produit l’occident, comme l’excédent alimentaire et - ça s’est manifesté grotesquement récemment - l’excédent d’automobiles pour lesquels existent donc désormais des ‘auto’-dafés, tout ça à grands renforts d‘’aides‘ nationales, européennes et j’en passe ?

 

Produit Intérieur Brut

 

     Je ne suis certes pas le seul à avoir quelques griefs contre la manière dont le PIB d’un pays est constitué : 0) Ce qui n’est pas légal ne constitue pas une richesse, 1) Ce qui n’est pas marchand ne constitue pas une richesse et 2) Bien des productions de nuisances sont considérées comme des richesses dans ce mode d’évaluation. La chose est connue.

     Or 1) Aucun pays ne perdurerait sans les immenses richesses non marchandes qui s’y produisent et s’y échangent et 2) Les nuisances constituent une part colossale d’un PIB (induisant d’autres biens et services qui eux-mêmes, etc.). On me dira ‘Si les gens sont assez cons pour consommer des nuisances, c’est leur affaire !’. Qu’y répondre ? J’en consomme moi aussi, ‘assez con’ que je suis...

 

Sève de bouleau

 

     Sur une place publique, ce printemps, j’ai vu distribuer gratuitement - hors PIB donc - de la sève de bouleau recueillie dans la nuit.  Me renseignant sur les prix en magasins, je suis tombé sur le cul. Celle que j’ai reçue du généreux distributeur était, si je puis dire, d’autant plus hautement gratuite !

 

Les seniors jusqu'au bout !

 

     J-P est partisan d’un service civil pour les retraité/e/s.

- Obligatoire ?

- Pourquoi pas ? Mais on peut aussi l’envisager facultatif, avec supplément de revenus - et donc supplément de cotisations aux organismes de retraites - pour ceux qui s’y adonnent. Un peu sur le principe du revenu d’existence où seuls ceux qui travailleraient recevraient un tel supplément. Ou bien en les dotant d’une ‘bourse d’activité‘. Ou encore tout bonnement sans rémunération aucune.

     Il refuse d’en dire plus à ce stade. J’ai le sentiment qu’il est en pleine élaboration d’une stratégie ‘béton’ quant à la divulgation de cette suggestion. A plus d’un titre, c’est peut-être même là une bombe que manipule J-P. Je suis vraiment-vraiment curieux de la suite...

     A la réflexion, je me dis 1) que ça apporterait peut-être un peu d’eau au moulin des contempteurs du PIB, donc je m’en félicite, et 2) que la collectivité a sans doute bien plus à gagner à ce genre de dispositif qu’en reportant l’âge de la retraite ou en allongeant la durée des cotisations...          Ceci dit, et pour rester dans mon sujet du jour - 'périssables' - nul n’est encore jamais sorti vivant de cette existence, si ?

 

Trimer toute une vie, à quoi bon ?

 

     Un ouvrier me dit sa détresse. L’appartement qu’il a pu se payer en bossant durant 40 ans, voilà qu’il va devoir le quitter. Le quartier s’est bobo-isé, les charges de copropriété ont fait un bond que sa retraite d’ouvrier ne lui permet pas de satisfaire. Ouste ! Sa détresse est redoublée du fait qu’il ressent que le sort de ‘ceux qui ne travaillent pas’ fait l’objet d’une sollicitude plus grande de la part de l’état. Et qui sont donc, à ses yeux, ceux ‘qui ne foutent rien’ ? Eh bien pas les trafiquants officiels d’argent mais les assistés sociaux.

 

Une université mutuelle

 

     G. est une sorte de Don Quichotte. Il a eu l’occasion d’enseigner dans quelques universités, mais il a tôt déserté. Il concocte maintenant un nouveau genre d’établissement d’enseignement supérieur : mutuel et avec un budget riquiqui.

- Des étudiants au niveau master, ou des professionnels de niveau comparable sont bien capables d’enseigner ce qu’il savent, non ? Le problème est que de plus en plus, leurs formations sont étroitisées au maximum. Si tu veux faire de la com, tu dois choisir entre 36 filières ; la vue d’ensemble t’échappera obligatoirement. Et si tu envisages un thème encore plus général - disons l’alimentation, par exemple -, quelle que soit la formation que tu auras reçue, tu es absolument certain de n’en avoir qu’une vue parcellaire.  Pourtant, une collectivité intelligente peut surgir du rassemblement de personnes s’étant formées - pardon : ayant été formées - dans 15 disciplines différentes. Le nutritionniste a tout à gagner à croiser son savoir avec ceux de psychologues, de psychiatres, d’agronomes, d’anthropologues, de géographes, de publicitaires, de financiers, d’économistes (macro, micro, des ménages), d’ingénieurs agro-alimentaire, de commerciaux, d’historiens et j’en passe ! Et réciproquement, bien sûr. Jusqu’à ce que, de ce melting pot, passées les engueulades, il se mette à sortir quelque chose de nouveau ! Quoi exactement ? Je suis curieux...

- Aujourd’hui, avec l’internet, le nutritionniste comme le spécialiste du marché mondial des denrées alimentaires peuvent élargir leurs points de vue, non ?

- Certes, on peut tout faire avec l’internet ! Autre question ?

- Je provoquais, bon ! Donc, vous réunirez 15 spécialistes d’un sujet, qui devraient pouvoir apprendre les uns des autres.

- Oui, sur deux ans de calendrier, à raison d’un long week-end par mois. Et, autour de ce noyau, il existera une université ouverte, sans autre critère d’admission que l’engagement de bosser. Volet indispensable, que cette université ouverte.

- Pas de profs ?

- Pas de profs. Si : des profs pourront s’inscrire en tant qu’étudiants, bien entendu. Pas d’experts non plus. Juste quelques voix qui peinent habituellement à se faire entendre dans la forteresse des idées reçues. Peut-être même une majorité de gens que l’on prend ordinairement pour des allumés !

- Vous délivrerez des diplômes ?

- Oui, des diplômes. Mais pas délivrés par moi !

- Délivrés par qui ? et reconnus comment ?

- Délivrés par les étudiants eux-mêmes sur la base de capacités comme : vue d’ensemble, aptitude à coopérer, etc. Et pour ce qui est de la reconnaissance, eh bien, c’est le marché du travail qui tranchera. Mais, je le répète, au-delà de la ‘formation’, c’est la production de savoirs nouveaux qui sera l’enjeu.

- Mais pourquoi vouloir des diplômes ? Pensez-vous que cette peau d’âne soit un aiguillon de la motivation ?

- J’espère que non ! Et si les ‘étudiants’ décident qu’il vaut mieux ne pas délivrer de diplômes, ça ne me gênera aucunement.

     Et G. m’explique que ce virus de l’interdisciplinarité, il l’a attrapé dans un Institut d’urbanisme où il enseignait la géographie et qui se prétendait interdisciplinaire. Voulant lui-même s’inscrire en tant qu’étudiant pour bénéficier de cette approche plus ample qui était proposée aux étudiants, il souleva le tollé qui allait l’amener à couper les ponts :

- ‘Voyons, un collègue devenant l’un de nos étudiants !’ (Admirez au passage le ‘nos’...) Au fait, rien à voir, vous êtes-vous parfois demandé pourquoi, si les cours des universités ou des lycées sont réputés si intéressants pour les jeunes, les autres profs ce ces établissements n'y assistent jamais ? Ils sont sur place, ça ne demande pas un gros effort en pourtant ...! J’estime que ce devrait être une règle d’ouvrir, ne serait-ce qu’une partie des cours ordinaires des lycées, à un public avide. Et on évaluerait le résultat !

- Pensez-vous que votre idée d’une université mutuelle soit une réponse à ce qu’il est convenu d’appeler la ‘crise’ des universités ?

- Il faudrait de multiples réponses. Les dispositifs d'enseignement et leurs stipendiés sont profondément réactionnaires, passant et repassant le même film usé jusqu'à la corde, certes régulièrement ripolinée, mais... C’est donc de l’extérieur des murs que peuvent provenir les idées porteuses d'avenir. Moi, je m’occupe de ce que je crois savoir faire. Le reste n’est pas de ma responsabilité. En tout cas, il est un point sur lequel je serai fier si ce projet aboutit : l’indépendance d’esprit.

- Qui dit ’indépendance’ dit ’finance’: alors, le financement ?

- D’abord, les besoins financiers seront moindres que dans le cadre d’un fonctionnement courant. Mais, bon, il y aura des besoins : documentation, déplacements, location de locaux, etc. Or il se trouve que la France vient de se doter d’une formule de mécénat taillée sur mesure pour le financement des universités : les fonds de dotation. Aubaine ! J’imagine que ce ne sera pas compliqué, si on en prend sérieusement les moyens, de transformer en micro-mécènes quelques milliers de particuliers, afin de réunir les quelques dizaines de milliers d’euros nécessaires au fonctionnement annuel !

- Quelques dizaines de milliers suffiront ?

- C’est un défi. La chose ne pourra pas se monter sans un budget minimum, mais nous devrons garder à l’esprit que l’horizon est la gratuité du savoir. Dans tous les sens du terme.

- Vous semblez convaincu qu’une telle innovation est réalisable...

- Bien sûr, mais c’est pas gagné !

 

N’ayez pas peur !

 

     D. n’a rien d’un trublion. Il m’expose très simplement son pari, né au moment où un pétrolier se mit à perdre sa cargaison en mer.

- Les marées noires, c’était un sujet auquel j’avais consacré un peu de mon temps. Je connaissais particulièrement la manière dont ça s’était passé bien des années plus tôt, en Bretagne. Or, ce soir où ce nouveau supertanker entre en piste, je suis au restaurant avec quelques amis. L’information nous arrive soudain, par une radio diffusée en salle. Mes amis font silence en me regardant et je comprends leur question, qui, est aussi celle qui s‘impose à moi : ‘Alors, D., demain tu fais quoi ?’

- Vous ne me donnez pas l’impression d’être très porté sur la militance. Vous n’appartenez pas non plus, que ce sache, à ces spécialistes volants que l’on fait venir pour tenter de régler les problèmes de ce genre. Qu’entendaient-ils donc par ‘tu fais quoi ?’.

- Je n’avais moi-même pas d’idée précise, mais je me sentais plus que concerné, c’est vrai. Et ils le savaient d’avance. Ma nuit vit fleurir bien des intentions. Au matin, j’avais un plan.

- Un plan de quoi ? Vous aviez donc une solution ?

- Je savais que nous allions avoir droit à un mur d’inaction couplée à de la désinformation. Les ‘plans Polmar’ que l’on ‘déclenche’ à ces moments-là, c’est de la rigolade : en caricaturant, disons que ça se résume à une manière différente de tenir un bout de comptabilité publique. Et puis, dans les cercles autorisés, l’on pensait que ce genre de catastrophe ne se produirait plus. Donc, pas de préparatifs dignes de ce nom. Et ça n’a pas manqué : les ministères, les préfets, les ‘responsables’ comme on dit, sont longtemps restés empotés car impotents, faisant jouer médiatiquement des ‘spécialistes’ à leur place.

- Mais vous, en matière d’action ou d’information... ? Je ne vois pas ce qu’un individu peut faire, seul, en pareille circonstance...

- Eh bien, effectivement, nous avons commencé par nous mettre à trois ! Et nous avons décidé que l’information, nous allions la produire. Très exactement, la faire produire par ceux qui s’y colleraient avec nous. C’est ainsi que nous avons organisé une première réunion appelée ‘audition publique’, à laquelle sont très volontiers venus des syndicalistes marins-pêcheurs, des maires, des professionnels du tourisme, des juristes, des habitants, etc. Une journée entière d’échanges où chacun disait ce qu’il savait, ce qu’il craignait, etc. Tout ça en présence du président d’une association qui, contre l’avis du gouvernement français de l’époque, avait intenté puis gagné un procès à Chicago suite à une précédente marée noire.

- Et l’administration, là-dedans ?

- Ah ! cocasse ! Le Directeur de Cabinet du préfet, apprenant que ledit président entrait dans la danse, me priait que celui-ci fît un arrêt d’une heure à la Préfecture pour faire part de son expérience. A quoi je répondis, bien entendu : ‘Notre rencontre est précisément là pour croiser les informations, vous êtes le bienvenu !’. De toute la journée, bien sûr, pas de DirCab en vue...

- A part le tour de force de réunir sans label et sans organisation reconnue le panel qui vous avait fait confiance, comment analysez-vous cette initiative ?

- En règle générale - et particulièrement dans un cas pareil - la société civile est réputée infirme et supposée attendre les décisions : ‘Peoc’h d’ar bugalez ! / Foutez-nous la paix, les gosses !’, comme aimait à brocarder le président qui outrepassa les ‘conseils’ du gouvernement de l’époque. Pour moi, il y allait de l’honneur de la société civile.

- Pas un thème en vogue, ça !

- C’est bien ce que j’ai ressenti quand, le lendemain, le maire de mon patelin me demanda : ‘C’est quoi, ce que tu as dit à la télé : la ...société civile ?’. C’est vrai que cette société civile - à savoir le peuple, tout simplement, mais je n’étais pas encore rodé à user de ce terme - a si peu l’occasion de s’autonomiser face à l’empire de l’administration !

Entretemps, le pétrole était venu à terre, à cinq cents kilomètres de là où nous avions organisé la première ‘audition publique’. Et voilà, les élus et les syndicalistes, ceux qui avaient fait le déplacement la première fois, qui en redemandent ! Une nouvelle séance est donc organisée, avec de nouveaux participants. Et l’on complétera la journée par une téléconférence avec des victimes d’une précédente marée noire en Alaska.

Il n’y eut pas de troisième rencontre. Les ‘autorités‘ s‘étaient désormais réveillées, occupant à nouveau tout l’espace public. Le pétrole continuait de se répandre mais la parenthèse s’était refermée : la vie avait repris son cours normal dans un pays sous régence administrative.

- Quels sont les ingrédients indispensables de ce type d’action ? Vous avez bien quelques conseils à donner, non ?

- Jean-Paul II a prononcé une phrase que je respecte, et que je fais largement mienne : ‘N’ayez pas peur !’. Il existe une seconde règle : ‘N’ayez pas peur !’. Et même une troisième, que vous devinez...

 

Penser local, agir global

 

     J’en parcours, des patelins ! Des où ça me dit de faire halte, des où le ‘bof !’ s’impose. Souvent, je me dis qu’ici aussi sont venus ou revenus des éclopés à vie - racistes et plus ou moins asociaux - du jeu de massacre qu’on les a envoyés mener en Algérie il y a cinquante ans. Dans tous les cas, je suis absolument certain que ce qui pourrait m’intéresser ne me saute pas aux yeux. Bien rare que la presse locale me soit utile ! Mais cette fois, oui, c’est par le quotidien régional que je suis tombé sur quelque chose que - pour ma part - je considère anormal de trouver exceptionnel. Voici les élus nouvellement élus d’une petite ville qui s’est mise à jouer un tout nouveau jeu : ils se voient catalyseurs de projets, sans sortir de leurs attributions.

     J’ai comme l’impression qu’un maire rural consacre aujourd’hui beaucoup de son temps - et encore plus s’il est inexpérimenté - à remplir ses obligations vis-à-vis de l’empire administratif dont il est un microscopique rouage. Que, parallèlement à cette fonction, il se permette de réfléchir, de faire savoir haut et clair que ses ambitieux objectifs de campagne électorale sont faits pour être réalisés, de booster les administrations allant jusqu‘à prendre des initiatives de portée départementale, de soutenir les porteurs de projets, de créer des rapprochements, bref de brasser tous azimuts alors qu‘il serait plus sage de faire comme d‘hab c‘est-à-dire rien qui puisse troubler l‘électeur qui n‘en demande pas tant, voilà qui mérite le respect.

     Dans le même patelin, j’ai le bonheur de faire la connaissance d’Y. Restaurateur de métier, son existence eût pu être ordinaire si ce n’est qu’un jour - j’irai jusqu’à dire un beau jour ! - elle faillit prendre fin : accident de voiture, handicap, incapacité à poursuivre l’activité. Rééducation. Mais pas classique. Y. décide de partir en Afrique. Il veut remettre les pendules à l’heure, faire le point, apprendre. Et il en revient transformé. La rééducation fonctionnelle se poursuit, bientôt il marche à nouveau, mais autant que le résultat compte à ses yeux le processus qu’il a connu : la reconquête - en groupe - d’une fonction élémentaire. Bref, le bain africain s’ajoutant à cette reconquête, voilà qui l’amène à  considérer son existence sous un autre angle. Il a repris son activité de restaurateur mais, outre qu’on y prend un repas bio au rapport qualité/quantité/diversité/prix imbattable, il considère son entreprise comme un élément au sein d’un réseau en train d’élaborer jour après jour une richesse qui le déborde. Jamais encore je n’avais entendu un chef d’entreprise se positionner de la sorte dans son environnement. ‘Penser local, agir global’, en somme !

 

Merci à ceux qui financent ma retraite !

 

     Lors de la visite d’une exploitation agricole, il m’apparaît soudain que pour tenir la route aujourd’hui dans ce secteur mieux vaut 1) hériter plutôt que de se mettre l’achat des terres sur le dos, et 2) pouvoir bénéficier gratuitement d’une main-d’œuvre familiale d’appoint.  

     Je pense à F., une amie qui espère établir bientôt une activité de maraîchère. Mais elle n’est pas héritière. Et elle ne pourra pas, non plus, bénéficier de main-d’œuvre familiale. Elle entrevoit une piste pour y remédier. Si ça aboutit, j’en rendrai compte.

     La veille, lors d’une visite que je faisais à un prétoire - n’est-il pas instructif de savoir ce qui se juge en notre nom ? - je suis tombé sur un procès pénal intenté à un restaurateur au service de qui les inspecteurs de l’empire administratif avaient repéré, l’été dernier, un jeune homme non déclaré. Le restaurateur - parfaitement en règle par ailleurs - plaidera l’entraide familiale.

     S’agissant de la garde gratuite d’enfants par leurs grands-parents, l’entraide familiale a, paraît-il, été évaluée à plusieurs milliards d’euros annuels en Italie. Que de manque à gagner pour les pauvres caisses de retraite !

     J’ai lu qu’au Chili, où les retraites par capitalisation avaient été largement promues sous Pinochet, le comparatif répartition/capitalisation donne gagnante la répartition en bout de course. C’est vrai que, par les temps qui courent, faut être fou pour faire confiance aux trafiquants officiels d’argent ! Reste que la répartition devrait aussi faire ses preuves quant au futur, ce qui est rien moins qu’assuré ! D’où l’ardente obligation de rechercher des solutions en dehors du jeu connu...

     Mais, bon, promis, je n’évoquerai désormais plus ce sujet ! Ah si ! encore une chose : je ne remercierai jamais assez tous ceux qui bossent en ce moment, salariés ordinaires, agricoles ou servant l’état, avec ou sans papiers, commerçants comme travailleurs indépendants, de rémunérer mon oisiveté actuelle de retraité !

 

écrire, c'est quoi ?

 

     ‘J’appelle élocution continue celle qui n’a pas de fin en soi et ne prend fin que lorsque la chose à dire est terminée. Elle manque d’agrément, en raison de son caractère indéfini ; car tout le monde aime à saisir la fin.’ Aristote - Rhétorique. Ces présents mémoires - en partie arrangés, allez, je l’avoue ! mais quelle vie ne l‘est pas ? -, j’ai prévu d’y mettre fin au bout de 250 000 à 300 000 caractères. Voilà toute ma téléologie. ‘Dans la chronique, l’adjonction ou la suppression d’un événement ne produit pas un bouleversement total de l’ensemble comme ce serait le cas si l’action était un tout.’, énonce l’un des commentateurs du vieux philosophe. Ben oui, il s’agit ici non seulement d’un puzzle plus ou moins réussi, mais d’un puzzle dont toutes les pièces ne trouveront pas leur place, et où il demeurera in fine une immense étendue de blancs. Mais sera-ce pour autant sans suspense pour le lecteur ? Pour moi, le doute sur ‘ce que ça sera’ se maintient, car je me demande, de patelin en patelin, ‘ce que c’est’.

 

D'Aristote à Max Planck

 

- Aristote chapeau ! Tu réussis chaque jour l’exploit de modeler notre vision du monde ! Ton époque fut intellectuellement très productive, et pas qu’en Grèce si j’ai bien compris (ton homologue Mencius en Chine, etc.), alors que nous n’en étions qu’en 2300 ou 2400 ans avant l‘internet. Vous ne deviez plus vous sentir pisser, j’imagine. Et voilà toutes ces centaines d’années que ça dure... Bon, mais excuse-moi, je vais te laisser. J’suis un peu à la bourre, là.

     Connexion/Fin, comme disait mystérieusement le minitel du siècle dernier, amélioré par l’inénarrable Windows en son fameux ‘Pour Quitter, aller dans Démarrer’.

- Allo, Max Planck ? Bonjour. C’est pour une interview. Comment interprètes-tu que le pékin ordinaire - mais c’était aussi le cas d’Einstein, je crois - ait tant de mal à comprendre ce drôle de quantique dont tu as accouché il y a pourtant déjà bien longtemps ? Il en sera toujours ainsi, à ton avis ?

     Je me garde de lui dire que je viens d’avoir Aristote au bout du fil. Je crains que ça ne l’indispose. Pourtant, c’est à un dialogue en public de ces deux-là que j’aspire. Faudra peut-être en passer par une simulation, où des connaisseurs de l’un et de l’autre endosseraient un personnage. Oui, pourquoi pas ? Une large équipe d’aristotéliciens face à une formation de planckistes, dialoguant des jours et des jours par étapes de six minutes durant lesquelles seul l’un des membres de l’équipe A dialogue avec un seul membre de la B.

 

Quantique : vive l’invraisemblable !

 

     En tout cas, que les écoles maternelles et primaires n’initient pas au quantique est le signe qu’il y a quelque chose qui cloche : c’est dans la prime jeunesse que le jeune a la plus grande capacité de s’ouvrir à autre chose que la raison dominante, non ? A cet âge, vive l’invraisemblable, le fantastique et l’irréaliste !

     Il est vrai que, même pour l’apprentissage des langues, en dépit des mêmes dispositions précoces, on y est loin du compte !

 

Un monde bouleversé

 

     Je me trouve face à une affiche de sensibilisation à ‘Un monde bouleversé’ (c’en est le titre). Toute l’information y est organisée autour d’un planisphère. Hélas, l’eurocentrisme n’en est nullement évacué, puisque le planisphère continue d’avoir pour axe le méridien de Greenwich. Montrer le monde terrestre comme l’affichent les cartes asiatiques - le Pacifique au centre - serait tout de même plus en phase avec le titre !

 

En France comme chez moi

 

     Rencontre avec L., jeune roumain qui s’exprime en un parfait français au sujet des menaces d’expulsion dont fait l’objet le ‘camp’ de roms auquel il appartient.

- Apparemment, on a deux mois devant nous. Mais on ne sait pas où aller. On n’a pas d’endroit. En Roumanie non plus, on n’a pas d’endroit. Et pas de travail. On veut rester en France. Ici, c’est comme dans mon pays, je parle la langue. J’ai des enfants.

     Ô Espace Schengen...

 

Absurde

 

     Je fais le rapprochement avec J-C., qui intègre dans sa production cinématographique des projets de très courts métrages à la condition qu’ils aient pour thème l’absurdité de la vie des humains, car c’est avec ce thème que se débat le personnage principal.

- Ce sont des courts-métrages participatifs. Des groupes de gens écrivent des épisodes en trouvant une histoire, un lieu et des acteurs semi-pros. N’importe qui peut en proposer. Nous viendrons filmer avec notre acteur principal et eux pendant trois jours.

 

L'eau

 

- Notre caractère mortel est bien évidemment incontournable. Mais les déchéances auxquelles nous sommes aujourd’hui promis en vieillissant, elles, ne sont pas forcément inscrites au programme.

     C’est de cette conviction qu’est partie F. qui, lâchant son job de chercheuse encadrée, s’est mise à bosser sur le possible ralentissement de la dégradation humaine au cours de la vieillesse.

- Alzheimer est l’arbre qui cache la forêt. Cette maladie capte en ce moment non seulement l’attention du grand public à qui elle est donnée en pâture, mais aussi des financements qu’il serait bien plus judicieux d’allouer au terrain sur lequel éclot la maladie d’Alzheimer : la perte d’énergie chez la personne âgée.

- Vous pensez donc en terme de prévention d‘Alzheimer ?

- Non, non ! Je refuse de penser en ces termes. Si l’on continue de tout focaliser sur Alzheimer, on fait fausse route. Il convient de penser à l’ensemble du vieillissement, lequel commence probablement vers 18-20 ans. Un vieillard doit pouvoir mourir en parfaite santé, physique comme mentale, comme un camembert joliment mené à terme. Ma petite contribution à cet égard porte sur l‘eau. Notre organisme est très majoritairement constitué d’eau, ça commence à se savoir. Une grande partie des problèmes du vieillissement provient du mauvais rapport que nous avons avec l’eau qui nous entoure et que nous absorbons. ça commence aussi à se dire. Pourtant les recommandations qui en découlent sont non seulement présentées comme des recettes, mais n’aident aucunement à y voir clair ! C’est ainsi que l’on nous recommande aujourd’hui de consommer au moins cinq fruits et légumes par jour. Mais aucune explication n’en est fournie ! Cette recommandation tombe-t-elle du ciel ? A mes yeux, les expériences qui en ont été à l’origine ont été concluantes en partie parce que mieux vaut fournir à l’organisme de l’eau structurée - c’est ce qu’il y a dans les fruits et légumes - plutôt qu’une simple eau.

- Concrètement, vous là-dedans ?

- Je travaille sur divers procédés de potabilisation de l’eau, pour de grandes ou petites collectivités, ainsi que pour l‘eau de baignade. De honteuses campagnes sont aujourd‘hui menées par les pouvoirs publics pour désamorcer les craintes quant à l‘eau du robinet. ça me scandalise. Certes une eau en partie dépolluée peut emporter les déchets de notre organisme, mais seule une eau naturelle - ou rendue naturelle - peut correspondre à l’ensemble de nos besoins.

- Rendue naturelle ? Je ne comprends pas !

- Eh bien, il nous faut parvenir à copier la nature ! Je ne puis vous expliquer ça en peu de mots, mais c’est ainsi que je définis mon travail. Mais bon, je me suis engagée dans une aventure dont je ne vois pas clairement les contours. J’ai commencé par constater qu’en tant que chercheuse isolée, je ne puis pas davantage mener les expérimentations en vraie grandeur que je voudrais que je ne le pouvais dans les programmes qui m’étaient dictés par mon ex-employeur. Pour le moment du moins. Mais j’espère y remédier.

 

Encore désobéir

 

     Il est interdit de ne pas faire vacciner son troupeau contre la fièvre catarrhale. W. ne veut pas se laisser prendre au piège, lui qui milite pour la liberté de vaccination tous azimuts. Il soigne son troupeau - en tant qu’éleveur et non en tant qu’exécuteur de ‘mesures’ ou receveur de primes - à l’aide de sa propre pharmacopée, élaborée au fil de l’expérience.

     Ce genre de grève reste marginal, non ? Mais le taux croissant de ‘grévistes des élections’ augure-t-il d’une augmentation à venir de la désobéissance civile sous diverses formes ? Les petits écarts feront-ils les grands chamboulements ?

 

     Est-il toujours interdit de commercialiser du purin d’ortie ? Je l’ignore. Ce qui porte atteinte à cette évidence ‘le business est nécessaire’ risquent à tout moment le couperet.

 

Tous chercheurs ?

 

     A., agriculteur rencontré il y a trente ans, avait adopté une méthode culturale dissonante : cultiver de la luzerne pour l’enfouir en tant qu’engrais vert. ça paraît élémentaire puisque la plante est capable de stocker - gratuitement - l’azote de l’air. Autant d’intrants en moins à acheter. A. veut donc savoir si ça intéresse les organismes de recherche publics (INRA...) de bosser avec lui sur cette question. Réponse négative. Son opinion est que les lobbies de l’azote font pression. Quant à moi, je pense en outre qu’un paysan se targuant de faire de la recherche, ça ne peut qu’irriter des chercheurs patentés.

     A la même époque, G., autre agriculteur, veut de l’aide pour élaborer un brevet sur la production d’énergie à base de la houle de l’océan. L’idée lui est venue en envisageant une machine à traire fonctionnant à l’envers. Même situation, même punition !

     A cette époque, je courais sous l’oriflamme du ‘droit à la recherche pour tous‘...

 

Polar

 

     F., berger d’alpage, et néanmoins titulaire de divers brevets d'invention, s’est un jour trouvé accusé de meurtre, cela expliquant sans doute ceci. Une nuit, il découvre mort un éleveur de la région. De fil en aiguille, les enquêteurs évoluant dans un roman policier qui les passionne, F. se verra accuser sur la base de faux témoignages - y compris à montés de toute pièces par le parquet -, jusqu’au procès qui le lave, non sans qu’il ait effectué un long séjour en taule. Son défaut : n’être pas en phase avec son entourage, ne pas trinquer au p’tit jaune, par exemple. Le meurtrier court toujours. Mais la Justice ne lui court pas après...

 

Illégal 1

 

     Je ne connais pas assez la ‘bio-électronique de Vincent’, mais j’ai l’impression que cette manière de voir l’eau et la nature a aussi ‘dérangé‘. Je me suis laissé dire que c’est allé jusqu’aux menaces de mort.

     D’autres chercheurs ont été condamnés pour exercice illégal de la médecine.

     Les psychanalystes parviennent à passer entre les mailles. Onfray leur causera-t-il plus de dommages qu’il n’en a créé à la religion de laquelle il a cherché à s’extirper ?

 

Illégal 2

 

     Il est jugé plus que ‘dérangeant’ aussi que des messages circulent sur les billets de banque : cela va jusqu’à constituer un délit lourdement réprimé. Mais n’est-ce pas là un magnifique support unitaire et circulant d’expression ? Les créateurs potentiels se voient tous déjà en prison ou quoi ? Ce qui serait rigolo : que des ‘œuvres’ cotées continuent de circuler en tant que monnaie d’échange, sur la base de la valeur nominale du billet !

 

Illégal 3

 

     Tout aussi interdite est l’émission sauvage de monnaie. La marchandise-monnaie est un secteur réservé aux trafiquants agréés, états et banques. Pas touche ! Et pourtant, j’apprends que, dans un patelin où je suis passé il y a deux jours sans rien remarquer, l’on a ainsi émis des billets. Qui ‘on’ ? Eh bé, une association de commerçants, artisans et industriels. Mais que fait donc le procureur ?!

 

Tous conditionnés

 

     Moi, ce qui me dérange, ce n’est pas que des interdictions existent, grands dieux non ! C’est que nous devions effectuer un effort personnel si fort pour comprendre pourquoi c’est interdit. C’est à cet effort monumental que je voudrais m‘intéresser, mais je ne sais pas encore comment...

     En effet, si l’on me répond ‘c’est pour préserver les intérêts du système’, je tique car c’est là une réponse de catéchisme qui sous-entend généralement que les ‘intérêts’ du grand business prévalent - via du lobbying visible ou occulte par exemple - un point c‘est tout. Or il me semble que la prévalence de ces intérêts s’appuie intelligemment sur nos conditionnements mentaux. Les dénonciateurs étant eux-mêmes largement conditionnés, qui peut prétendre y échapper ? Moi, certainement pas ! Qui ?

 

Ces lignes (comme bien d’autres) sont largement à réviser

Appel à jouer

 

Un texte, c’est aussi un auteur, des personnages, un style, un genre, des lecteurs, un mode de distribution, des réactions, etc. Qu’en est-il de celui-ci ? L’auteur se cache, les personnages prennent rarement corps, le style n’en parlons pas, le genre - ah ! le genre, voilà un beau sujet ! OK. Pour le reste, on verra plus tard.

     Autobiographie, mémoires, journal ou bien auto-fiction, ou encore magasin d’écriture, ou même tout ça à la fois ? Que peut bien vouloir l’auteur, qui le conduise à consacrer du temps, chaque jour de ce printemps 2010, à ses Découvertes contemporaines ? Eh bien, si on l’interroge il répond : au début, un pari, et puis ça devient une prévention de l’ennui pas désagréable. L’agrément ne vient pas seulement des souvenirs et des rencontres : il vient aussi et surtout de ce que l’écriture s‘élabore ‘en tricot’, mode de production qu’il affectionne particulièrement (le tricot - soit dit pour ceux qui ne l’ont jamais pratiqué - s’oppose ontologiquement au tissage en ce que le cours peut s’en modifier à tout moment : on peut considérer le tricot comme un appel à jouer). Certes, l’auteur s’est donné quelques contraintes : entre 800 et 1100 mots par livraison, des livraisons le moins décousues possible - contrainte certes pas toujours respectée ! - au nombre d’une cinquantaine.

     Nous sommes chacun un être de récits, non ? Une femme différemment d’un homme, d’ailleurs, non ? Sans récit, pas d’individu et pas de société qui se tiennent, si ?

     Voilà. Voilà comment, en interrogatives, j’aimerais le plus écrire. A vouloir clôturer les récits - en affirmant, par exemple - l’on risque d’avoir tout faux, non ? Ne pas savoir - bien sûr ! - et cependant prétendre le contraire...

     Mon choix de passer du coq à l’âne résulte en partie de mon doute, tentative de m‘exprimer par petites touches pour éviter le pompeux, comme en un jardin dont les sentiers bifurqueraient à volonté, contraignant le visiteur à donner plus d’importance à ce que ça lui dit qu’à ce qu’a voulu dire l’auteur. J’ai aussi la volonté d’ainsi me divertir au second sens du terme : me sortir des sentiers battus de l’écriture (du moins il me semble), explorer.

     En assumant le risque que courent, eux aussi, les recueils d’aphorismes : faire prendre l’auteur pour un quelqu’un qui aurait ‘vécu’ et ‘pensé’ plus que quiconque, et aurait en tout cas quelque chose de plus (sentiment que confirmerait le fait-même qu’un éditeur choisisse d’éditer un tel écrivain).

     Ce n’est pas seulement en tant qu’auteur que je caresse l’espoir d’écrire autant que possible en interrogatives : je suis aussi le lecteur qui aimerait - ô combien - lire plus d’auteurs adoptant cette forme. Un dialogue des esprits via les mots, sous la forme la plus exigeante qui soit.

     Quant à la galerie des portraits, j’ignore comment ces personnages sont ressentis. Je crains qu’ils soient littérairement lassants, voire inexistants, même si je respecte les situations qui m’ont amené à m’intéresser à eux. Sont-ils des extra-terrestres ? En un sens oui : ils ne reflètent pas la réalité du quotidien. Reflètent-ils une part de la réalité abondamment fréquentée par l’auteur ? Si l’on veut bien considérer que l’artifice d’un documentaire de fiction ne rompt pas d’avec la réalité car il se veut et s’assume quasi-réel, oui. Ce n’est pas pour embobiner : j’aime que le doute l‘emporte. Je cherche, sans mauvaise foi aucune, prétends-je, à ‘ménager la chèvre référentielle et le chou fictionnel’. C’est ainsi, selon moi, qu’une certaine littérature aurait le plus de chances de nous faciliter le passage à des ordres de ‘réalité’ bien à nous, lecteurs, pour que nous n’en fassions qu’à notre tête - cet espace de liberté qu’est notre ‘tête’ n’est-elle pas toujours en péril ? -, et non seulement à ceux suggérés explicitement par les auteurs. Cherché-je à offrir au lecteur le moyen de ce que Philippe Gasparini - Est-il Je ? - énonce comme une ‘rêverie narrative dont le livre n’aura fourni qu’un détonateur, une matrice, un pré-texte’ ? J’aimerais, en effet.

     Escarpit - Sociologie de la littérature - rejette la définition de la littérature par un critère qualitatif. ‘Notre critère est ce que nous appelions l’aptitude à la gratuité. Est littéraire toute œuvre qui n’est pas un outil, mais une fin en soi.’ Question : le présent texte constitue-t-il une fin en soi ? Pas sûr. Des ‘mémoires’ s’originent, que je sache, dans un souci de transmettre, donc de marquer. Au demeurant, je me demande quel auteur pourrait bien produire un texte constituant exclusivement ‘une fin en soi’ ?

     Trêve ! Qui donc accole le mot de littérature au présent texte de cache-cache ? L’auteur ? Hola ! Parlons de récit/s, ça ira mieux !

     Mais même : de quelle affabulation parle-t-il donc ? Où diable le maquillage ? A quoi l’auteur répond : indiquez-moi ne serait-ce qu’un récit qui ne soit ‘mensonger’ !

 

     Sais-je où je vais ? Oui. Et pourtant non. Allons-y !

 

     Les expériences que je relate sont, pour certaines, naïves ou futiles. J’assume. Tout comme peuvent apparaître ridicules ou impossibles certaines des idées sorties de mon propre cerveau - de mes propres neurones, serait-il plus judicieux d’écrire puisque, paraît-il nos intestins sont également peuplés de tels neurones... J’assume idèmement. Je n’écris pas pour être approuvé. Je crois même que des textes provoquant l’adhésion complète des lecteurs sont dangereux. Or l’on observe régulièrement l’apparition d’intellectuels venant prendre le relais d’autres dans la rubrique ‘faisant autorité‘ - par exemple avec l’appui de médias carburant à la célébrité - et voilà comment le singe s’en vient descendre de l’homme ! ‘Ni dieu, ni maître, ni tribun’ était paraît-il la devise anarchiste. L’enthousiasme - pour un livre d’intellectuel, par exemple - me semble nocif, passé l’adolescence. D’ailleurs, les savoirs de l’humanité sont-ils autre chose que des lueurs dans la nuit de son ignorance ? (si c’est pas pompeux, ça ?). L’une de mes tâches : assumer mes médiocrités, la littéraire et les autres.

 

Croître en âge

 

     Jusqu’à il y a peu, je me sentais comme quelqu’un de quarante ans. Mentalement, j’entends, car pour le physique, la vétusté s’imposait déjà. Brutalement, en quelques mois, me voici conscient d’aller sur mes soixante-huit. Il y a à cela quelques déclencheurs concomitants : mémoire défaillante, manque de plus en plus cruel d‘à propos, détestable esprit d‘escalier en train de s‘instaurer, réticence à participer à une activité collective, etc.. Signes quotidiens d’un désastre en cours. Vieillir n’est-il pas partir un peu ? Ainsi, ce matin, impossible de déterminer comment les deux mois de juillet et d’août peuvent bien comporter 31 jours : ne manquerait-il pas entre ces deux un mois de 30 jours dont j‘aurais perdu la trace ?. Un peu de panique... Devrais-je donc forcer sur l’eau structurée ? Mais il est probablement bien tard ! Que faire ? si ce n’est assumer joyeusement cet événement, au même titre que les autres. ‘Partir’ est bien un mot magique pour agences de voyages, non ?

 

Vous avez dit 'optimiser' ?

 

     H. libraire :

- Quand j’ai racheté ce magasin de journaux en décidant d’y adjoindre des rayons de livres, j’ai vu venir des représentants de maisons d’édition très empressés de m‘aider à ‘optimiser mes ventes‘. Mais j’ai vite interrompu leur jeu : ‘Faire du chiffre ! Vous pensez donc que j’aurais ouvert cette boutique pour faire du chiffre ? Pour gagner de l’argent, j’aurais certainement choisi autre chose, croyez-moi  !’ Je n’ai vraiment pas le profil pour être le dindon de leur farce !

 

Gratuit

 

     J. prépare un site web du genre ‘almanach’. Il y aura un peu de tout, naturellement, depuis ‘comment fabriquer son savon’ jusqu’à l’origine de divers mots en passant par ‘améliorez votre masturbation’. J., qui aime beaucoup les jeux de société et en invente lui-même, ne peut s’empêcher d’y consacrer pas mal d’espace. Mais son acception du mot ‘jeu’ est restrictive : les jeux qu’il veut promouvoir sont ceux où l’on ne se contente pas de compétiter mais où l’on joue vraiment ! Il m’a fourni la règle d’un jeu dont il a eu connaissance, mais qu’il a modifié à sa façon pour qu’il en résulte une ambiance plus chaude entre les joueurs , que je m’empresse de noter ici pour l'offrir gratuitement.

- 5 joueurs dont un meneur de jeu, une collection (50, 100, 200, à volonté) de petits objets sphériques identiques (billes, noisettes, par exemple), deux petits paniers qui seront vides au départ, un contenant A où sont cachés les objets au départ de la partie, et un contenant B pour les objets non mis en service.

- Le but : détenir individuellement le plus d’objets lorsque la partie prend fin. Le gagnant devient meneur de jeu, et peut modifier la règle dans certaines limites.

- La partie prend fin lorsqu’il n’y a plus d’objets dans l’un des deux plateaux, ou lorsque le meneur de jeu ne peut fournir les objets comme il le devrait.

- Avant la partie, le meneur de jeu aura placé dans le contenant A la quantité d’objets qu’il lui chante, à l’abri des regards des quatre autres joueurs. Après chaque coup, il approvisionnera les paniers d’autant d’objets qu’il en est resté.

- Ces quatre joueurs vont jouer alternativement par paires, chacune sur l’un des deux paniers.

- Pour commencer la partie, le meneur de jeu dépose un nombre d’objets de son choix dans le panier 1.

- Dans les dix secondes qui suivent, les deux joueurs concernés en prennent chacun la quantité qu’ils désirent : l’un peut tout prendre en acquérant ainsi autant de points qu’il y avait d’objets (et la partie s’arrête), ou aucun des joueurs n’en prend aucun en espérant que le nombre de points potentiels s’accroîtra de la sorte au fil des coups, ou bien ils en prennent l’un un, l’autre quatre, au choix..

- Le meneur de jeu réapprovisionne le panier 1 d’autant d’objets qu’il en est resté.

- Même déroulement pour le panier 2, où le meneur de jeu aura commencé par déposer exactement le même nombre d’objets qu’initialement dans le panier 1. Puis, les joueurs de la seconde paire jouent, etc.

- Malgré le fait que ça se joue en deux paires de joueurs, il s’agit d’une seule et même partie : il y aura un seul gagnant individuel.

- Les coups se succèdent jusqu’à ce que l’un des deux paniers soit vidé, ou que le contenant A du meneur de jeu ne compte plus assez d’objets pour qu’un plateau puisse être réapprovisionné en quantité suffisante.

- Le gagnant peut choisir de devenir meneur du jeu pour les parties suivantes. S’il le devient, il peut modifier à sa guise la sous-règle. En effet, au-delà des règles exposées ci-dessus, les joueurs ne manquent pas de proposer abondamment des manières de faire quant aux détails : la récompense du gagnant est donc de pouvoir imposer sa loi quant à ces détails. C’est pourquoi J. l’a nommé ‘Jeu de la Règle'.

 

Enfreindre

 

     Un autre de mes interlocuteurs récents, également à propos de règle du jeu :

- Faut déjà être maso pour vivre dans ce monde, alors pour vouloir le changer ! Moi, je m’en arrange : les règles et les lois sont faites pour être enfreintes, non ?

 

Se faire obéir

 

     Vu hier un documentaire algérien dont les écoles d’un village occupent le premier plan. Malgré les coups de règle sur les doigts ou sur la tête, l’absentéisme sévit. Les maigres arguments du maître pour justifier l’obligation scolaire sonnent creux. Absentéisme, signe d’une incroyance ?

     Je me demande aussi si, pour accepter d’obéir, il n’est pas nécessaire que l’on s’imagine soi-même - fût-ce de manière informulée, et fût-ce imaginairement - dans la situation d’avoir à se faire obéir.

 

Elle boit

 

     Une femme m’aborde hier sur l’esplanade. Elle a besoin d’argent, elle dort dans la rue, son compagnon l’a tabassée - deux dents visiblement en moins - et a confisqué ses divers papiers - identité, sécu, etc. Elle est très visiblement enceinte. Et avinée : je m’en rends compte à son haleine quand elle me fait un bisou de remerciement.

 

Décombres

 

     Je me souviens d’une librairie qui dût fermer, il y a quelques années, sous la pression de nazillons sionistes. Les deux tenancières n’avaient rien d’anti-israélien, mais avaient eu la mauvaise idée d’en inviter un à parler de son livre, comme elles commençaient à le faire tous azimuts - la librairie avait six mois. La soirée fut dévastatrice ; ce groupe de plusieurs dizaines de casques et de gourdins a donc pu se former impunément, dans ce pays. Quelques réactions officielles offusquées s’ensuivirent. Au-delà de la soirée, les menaces continuèrent, les femmes prirent peur, et préférèrent fermer définitivement boutique. Sans réaction d’autres libraires ou d’organisations de défense des libertés que je sache. Un magasin de vêtements a pris la suite. L’Histoire ne se construit-elle pas sur des décombres ?

 

Liberté d'information

 

     à propos d’Israël, encore. Les images de destructions causées par l’armée dans les ‘Territoires’ - ‘Plomb durci’, etc. - parvenant minimisées aux téléspectateurs d’Israël, un petit groupe - au sein duquel des Juifs, honneur à eux ! - s’emploie depuis peu à enregistrer les images diffusées par les télévisions occidentales. But : en diffuser des copies là-bas.

 

Le pétrole, c'est magique !

 

     Moins grave est l’initiative d’un autre petit groupe, décidé à mettre en évidence un aspect oublié ou inconnu du pétrole.

- Il devient clair que le prix du pétrole augmentera désormais jusqu’à se trouver réservé, à terme, à certains privilégiés ou à certains usages. Les écologistes ne cessent de montrer du doigt les ravages causés par cette substance, pourtant naturelle : depuis la pollution généralisée jusqu’à la ‘société de l’auto’, en passant par le coup porté aux productions locales par le transport international de marchandises meilleur marché. Il n’y a rien à redire à cela. L’élan écolo rejoint ainsi la réalité en la rendant acceptable. Nous, c’est la magie du pétrole que nous voulons célébrer.

- C’est pas banal !

- Savez-vous combien d’heures de travail humain fait économiser un litre de pétrole ?

- Je ne saurais répondre !

- Eh bien vous le saurez quand vous aurez vu passer, ici ou là, notre voiture de vulgarisation ! Nous mijotons l’idée de faire pousser un véhicule sans moteur – genre tombereau - par une équipe d’une dizaine de personnes se relayant sur 100 km, en calculant combien d’heures/homme auront été nécessaires pour y parvenir. En avez-vous déjà une petite idée ?

- Aucune idée, à vrai dire !

-   Eh bien, vive l’expérience ! Notre but n’est pas vraiment d’anticiper sur la création d’emplois de pousseurs - l’humanité a mis au point d’autres moyens ! - mais de mettre l’eau et le pétrole dans le même sac des biens communs dont on imagine difficilement la valeur réelle ! Nous sommes tous des gosses de riches !

-   Oui, certes, mais n'oubliez-vous pas que le litre de pétrole acheté à la pompe a déjà nécessité des quantités d'heures de travail humain ?

 

Banalité

 

     Ce que je recherche à travers les présentes digressions de promeneur, c’est à explorer - par frottements - le temps qu’il fait, ainsi que la tenue à adopter en conséquence. Des millions de gens font ça chaque matin, non ?

 

Gla-gla

 

     Sur le bord du chemin, hier, un chapelet de prostituées. Dévêtues autant que possible. Certes nous sommes au printemps, mais cet hiver il en était de même, et je ne me serais pas vu proposer l’une de mes couvertures...

 

Lebranchu

 

     Aux élections d’il y a peu, une racoleuse s’était placée en tête d’une liste. J’écris ‘racoleuse’ parce que, ayant été élue, elle s’est empressée de déclarer qu’elle ne siégerait pas, au motif que son parti blablabla, cumul des mandats et tout ça... Des dizaines de milliers de personnes vous mandatent, et vous vous en fichez, Madame ?

     Cette attitude devrait mettre ses électeurs en colère, non ? Eh bien pensez vous !... L’Histoire ne se construit-elle pas sur l‘oubli ?

 

Armand Robin bis

 

     Z. par ailleurs musicien et linguiste consacre, chaque année, de deux à trois mois de son temps au dépouillement des principaux titres de la presse française pour en tirer un bulletin annuel sur l’état politique de la planète, vu depuis la France. Les quasi deux cents pays sont passés en revue. Certaines informations brutes font l’objet d’un commentaire, d’autres de l’indication d’une autre source pour un complément d’information. Le bulletin qui en résulte fait l’objet d’une diffusion restreinte.

 

écrire

 

     Une personne sur douze, à ce qu’il paraît, écrit au jour le jour. J’imagine le processus suivant : sous forme d’enquête, demander aux personnes en question de sélectionner dans leurs cahiers LA page qu’ils auraient le plus envie de communiquer largement ; et publier ça. Serions-nous surpris ?

 

Tous aux abris !

 

     Il m’est arrivé d’avoir à effectuer des traductions. Depuis le latin d’abord, sous forme de ce qui se nommait version - pourquoi ce type de traduction était-il ainsi nommé alors que dans le sens inverse ça se nommait thème ? je n’ai jusqu’ici jamais cherché à le savoir. Ensuite, depuis d’autres langues. Pour ne pas rester engoncés dans une culture dont nous sommes natifs, un petit exercice de ce genre chaque semaine ou chaque mois a autant d’effet qu’un voyage hors de ses frontières.

     Le voyage garde cependant des avantages. Par exemple, en raison de son coût et de l’éloignement d’avec le quotidien en quoi il consiste pour certains, il fait office d’événement. Or, des événements, nous en avons besoin, non ? ça fait de nous des gens normaux. Pour certains, le substitut au voyage, mais événement tout de même, c’est l’incursion dans un salon consacré à la chose : moins argentés ? moins culottés ? plus pantouflards ? ils préfèrent voyager par procuration.

     Je n’ai pas plus d’accointances avec les ‘écrivains voyageurs’ qu’avec les ‘gens du voyage’ - catégorie administrative à laquelle j’appartiens pourtant. Je crois n’avoir jamais lu Nicolas Bouvier, jusqu’à ce jour d’hui où est venu à moi un de ses livres peuplé d‘un vocabulaire à vous clouer le bec. Harry Martinson, c’est autre chose : au moins écrivit-il de la fiction, tandis que Bouvier a tenté de nous faire croire qu’il relatait la réalité !

     Ce qui me tanne l’esprit, en ce moment, c’est que ces terres, champs, prés, vignes, garrigues que je longe ou traverse sont pour beaucoup la propriété de quelqu’un.

     Et de quelqu’un qui se dit que ça vaut de l’argent. L’annonce d’une modification de document communal d’urbanisme doit faire phosphorer à tout crin dans les chaumières, de nuit comme de jour ! (Quand ça ne se modifie pas, les rêves doivent aller tout aussi bon train !)

     Et de quelqu’un qui a, de ce fait, une place respectable au soleil. Pour ceux qui n’en ont pas encore, en avoir un bout peut d’ailleurs représenter un but. C’est une des valeurs fortes de la société où je vis : posséder, être le maître de quelques chose de soumis. Malgré le progrès des convictions écologistes, la ‘nature’ qui gît en ces terrains reste une valeur secondaire, non ? Et ceux qui se conçoivent appartenant à la terre – je note un nombre croissant de Gaïards et Gaïardes - ne feront pas de si tôt le poids face à ceux à qui appartient la terre. Quant à la notion de ‘bien commun’...

     Je n’ignore toutefois pas qu’une partie de ce pognon que nous traversons à pied, à cheval ou en voiture appartient aux trafiquants professionnels d’argent. Ni que les Etats se sont arrogés la propriété des sous-sols. Quelqu’un a émis l’idée que la Grèce aurait pu gager une de ses îles pour garantir les prêteurs venus faire des profits sur son dos. Mais quoi ? La terre arable, le sous-sol, le droit de ci ou le droit de ça ? Pas claire, sous cet éclairage, la notion de propriété de la terre ! Je sens que, pour garantir l’emprunt que je dois bientôt contracter afin de couvrir les frais de mes obsèques, je vais placer en gage Vega de la Lyre, notre étoile-terminus à tous.

     Et puis il y a ceux qui les exploitent, les terres arables. Qui les appauvrissent ce faisant, commence-t-on à dire aujourd’hui puisque, selon le mode d’emploi délivré depuis une cinquantaine d’années, les cultivateurs ont pour souci de nourrir la plante, non le sol. Ainsi consacreraient-ils temps et sueur à les appauvrir.

     En arrivant au monde, l’homme recevait autrefois un mode d’emploi personnel ET collectif. Que, dans certaines configurations, il était autorisé à contester.

     Est demeuré un mode d’emploi collectif - dont la coercition n’a rien à envier à celle des sociétés très hiérarchisées -, mais pour ce qui est de l’individuel, pffuuiit ! c’est à chacun de se dépatouiller. Vive l’individualisme ! dit-on, du coup. Oui mais ! comment contester quelque chose d’impalpable ? Est-ce ce découplage qui entraîne la grande anomie dans laquelle nous baignons, chacun étant occupé à ’réussir’ sa petite affaire ? (Pourquoi ne pas écrire ‘N’est-ce pas ce découplage etc. ?’ ? L’interro-négative n’entraînerait-elle pas un peu plus le lecteur à penser comme moi ?)

     Il n’en reste pas moins que chacun se sent le siège du monde, non ? Tout ne tourne-t-il pas autour de soi ? Au plus éloigné de notre noyau intime, il y a ‘les gens’.

     A mi-chemin entre soi et les gens : de grandes ou de petites coagulations sociales ? Y appartenir ? et si oui jusqu’à quel point ? Dans quels buts ? Ce qui est nouveau est cette injonction de se déterminer individuellement sur ce type de question au sein-même d’une agrégation généralisée (même si toute symbolique).

     Quand bien même un Africain quittant/fuyant son pays - le ‘voyage’ comporte beaucoup de variantes ! - pour tenter d’entrer clandestinement dans un pays enrichi y est poussé par son environnement, l’acte fait de lui un projectile brutalement individualisé. Un tel bond, c’est à devenir fou, non ? Or j’ai le sentiment que de moins en moins d’humains échappent ou échapperont à une telle situation, sauf à construire d’autres formes de vivre ensemble.

     A cet égard, Q. estime que, une fois cadenassées les vannes du surfinancement des agricultures européennes par les états et leur Europe à la noix, certains agriculteurs/rices pourraient trouver une alternative dans l’‘abriculture’.

- C’est bien sûr un jeu de mots, mais il interroge. Déjà bien des exploitations agricoles ont joué la diversification : mode de production bio, valorisations directes, etc. et, parmi celles-ci, diverses formes d'accueil : gîtes, auberges, fermes pédagogiques, familles d'accueil, etc. Sur ces savoirs-faire, il est urgent de construire de nouvelles formes de vie à la campagne, recréant des hameaux où se mêleront les âges, les professions, etc.

- C’est rêver, non ?

- Oui, sauf à prendre en compte deux phénomènes déjà largement à l’œuvre : l’envie de renouer avec l’espace rural - qui n’a sans doute jamais quitté une partie de la population, mais celle-ci se faisait une raison -, et surtout la crise alimentaire qui se profile.

- à quelle échéance, selon vous ?

- Imaginez l’Iran parvenant à contrôler durablement le Golfe sans qu’aucune riposte raisonnable ne soit possible : ce n’est là qu’une échéance possible parmi diverses autres, mais elle retient de plus en plus mon attention. Connaissez-vous la phrase du Grand Timonier de ce pays ‘Une bombe sur Israël le détruira entièrement alors qu’une riposte ne créera que des dommages au monde musulman’ ? Il est déraisonnable de caler l’échéancier sur l’épuisement de la ressource pétrolière, comme on nous le chante. Pour cause de fin brutale et prochaine du modèle pétrolier de société où nous nous trouvons comme coqs en pâte, nous devons inventer en urgence une autre manière d’occuper le territoire. En tout état de cause, ça ne peut se faire sans tenir compte des agriculteurs, ceux qui y sont encore et ceux qui vont le devenir. Si ça se fait avec eux, ce sera mille fois mieux pour tout le monde. Ce milieu souffre. De nombreuses productions sont en crise, les contrôles de l’administration exaspèrent, les messages de  responsabilisation environnementale voire de stigmatisation exercent aussi une forte pression, etc. Il n’y a pas qu’à France Telecom où le  nombre de suicides s’envole !

- Vous pariez sur une convergence d’intérêts entre des agriculteurs et des personnes s’extrayant de la ville ?

- L’expérience le dira. Mais ne rien expérimenter à cet égard dès à présent serait inconséquent. Il y faudra, d’ailleurs, de très consistantes incitations car sinon le mouvement ne pourrait décoller à temps.

 

Où écrire ?

 

     Il présente un énorme avantage sur les bistrots où je dois me brancher trop souvent, ce restau à touristes - encore des voyageurs, donc - auquel j’emprunte pour quelques jours une prise de courant : il comporte un préau ouvert où ne se déroule en général aucune activité, une prise - je me répète pour m’en délecter - une table, des chaises, et - cerise sur le gâteau ! - ambiance non musicalisée. Ce n’est pas encore une halte habituelle, mais l’on m’y reconnaît déjà en tant que ‘l’écrivain’. Pas d’obligation de m’y restaurer. Merci J. ! Pour autant, ayant éprouvé la qualité de ses ‘fruits de mer’, je ne m’en priverai pas complètement.

 

Voyager sur place

 

     Les astres et planètes tournent - et ce, paraît-il, dans le sens des aiguilles d‘une montre (dire l’inverse serait plus judicieux) -, les derviches aussi, les valseurs aussi, etc. Voilà l’argument qu’utilise un concepteur de ‘harnais pour tourner à deux’. De quoi s’agit-il ? D’un harnachement qu’endossent deux personnes pour tourner ensemble - de longues heures sans s’épuiser, paraît-il - (‘dans le sens où ça tourne dans l’univers‘, préconise naturellement l’argumentaire) : les partenaires se font face et, à leur gré, se tenant proches ou se distanciant à ne plus se toucher, s’aident de la force centripète pour tourner tourner tourner, debout ou jambes fléchies. L’inventeur recherche fabricant, distributeur, etc. Une demande de brevet est en cours.

 

Le réel, qu'est-ce ?

 

     De quel réel les récits du genre du mien peuvent-ils bien rendre compte ?

     Quant les ‘quantiques’ expriment leur vision du réel, les ’réalistes’ leur rétorquent que ça ne concerne que - et ne peut concerner que - l’infiniment petit. Quand, plus tard, cette vision vient éclairer autre chose que l’infiniment petit, la réponse est que ça ne concerne peut-être qu’une partie du réel, mais pas tout le réel. De grignotage en grignotage, jusqu’où iront-ils ?

 

L'héritage de Darwin

 

     Autre affrontement, celui des évolutionnistes-sans-programme alias 'rien-que-Darwin' (au risque de leur déplaire souverainement, il est plus juste de les désigner par presque-tout-Darwin) d’une part, et des évolutionnistes-avec-programme alias 'Darwin-et-la-suite' d‘autre part. La suffisance des premiers, se revendiquant seuls authentiques héritiers de Darwin, serait attendrissante si elle ne frisait pas l’intégrisme. Quant aux seconds, se permettant de critiquer le demi-dieu Darwin, ils ont bien du mal à se défendre de le réfuter. Je me méfie de la suffisance. Non : je l’ai en aversion !

     Quand Alfred Korzybski reconnaît qu’Aristote, Euclide et Newton ont beaucoup apporté pour leur époque, il reste néanmoins plus sévère à leur égard que ne l’est Staune à l’égard de Darwin lui-même :

‘Platon a objectifié les ‘idées’ comme si elles étaient quelque chose de ‘concret’. Autrement dit, il a identifié des niveaux verbaux avec des niveaux non-verbaux. C’est ce que font les primitifs et les bébés, et malheureusement la majorité d’entre nous perpétue encore cette habitude. Le mal que Platon a causé aux générations successives a été considérable, parce qu’il a peuplé notre monde de mauvais génies contre lesquels nous luttons encore. Mais, contrairement à Aristote, Platon n’a pas construit un système pratique susceptible d’être encore infligé à chaque génération, les entraînant à la magie primitive des mots.'

 

Vagabondage

 

     Il y a presqu’un siècle, se tint en France un ‘congrès de vagabonds’, j’en ai vu des photos.

     L’errance en Occident a une histoire, pas toujours rigolote. Pour dire vite, le capitalisme industriel n’a pu trouver son envol que du fait de la répression du vagabondage : c’était ‘l’usine, sinon la taule !’.

     Si le vagabondage était aujourd’hui interdit, ce ne serait pas pour alimenter les usines, car l’industrie a cessé tout à la fois de manquer de main-d’œuvre et de pouvoir faire la loi. Mais, s’il en est besoin, le contrôle des corps aura toujours de suffisantes raisons.

     Pour ma part, je dois faire viser chaque trimestre mon ‘carnet de circulation’ à un officier de police judiciaire. C’est un truc que le réseau gendarmique de contrôle connaît bien. Mais si je suis à l’étranger, pas de visa possible !

 

Val d'Oise

 

     Je suis repassé - drôle de formule, non ? ‘être repassé‘ ! - il y a quelque temps en un patelin dont il me reste deux souvenirs.

     Le cimetière plus destroy que j’aie jamais vu : des superstructures de tombes pour la plupart en déséquilibre, et faites d’un mauvais béton qui se défait au fil du temps - après tout, pourquoi ne pas admettre en pareil lieu cette dégénérescence du béton lui-même ?

     L’autre souvenir m’est plus cher. C’était il y a cinq ans. L’embrayage de ma petite voiture rendant l’âme - tiens, donc, elle aussi ? - je me trouve orienté vers un garage guère visible, peuplé de véhicules haut de gamme en réparation. Je crains de m’être fourvoyé : qu’a en effet de commun ma ridiculement minuscule Hyundai avec ces Rolls, Cabs londoniens, Jag, etc. ? De plus, complètement désargenté à ce moment-là, je ne puis compter que sur la promesse d’un ami de me dépanner en cas de besoin : comment exprimer, dans un tel environnement, l’incommodité de cette situation financière ? Qu’à cela ne tienne ! Les choses bien mises à plat, le couple de garagistes entreprend sans barguigner de commander ‘ma’ boîte de vitesse. Bigre ! pourvu que le chèque arrive à temps ! Eh bien, la réparation sera achevée que ‘mon’ chèque ne sera toujours pas là ...ce qui n’empêchera pas mes sauveurs de me remettre les clés en me souhaitant bonne route ! (Je rassure le lecteur honnête : le paiement sera effectif quelques heures plus tard.)

     ‘Repassant’ donc il y a peu, je me présente à l’heure du café. Accueil à bras ouverts. On ne me reproche qu’une chose : n’être pas venu à temps pour partager le repas...

- La prochaine fois, venez vers midi ! On prendra le temps de causer.

 

Quel temps fait-il dehors ?

 

     A la déception de certains de mes amis, je n’ai rien de spécial à dire du voyage permanent que je pratique - et que pratiquent d’ailleurs un nombre non négligeable de mes contemporains (nombre croissant ou décroissant ? je l’ignore). Mes aventures et rencontres ne tranchent guère d’avec celles de quiconque veut bien y mettre du sien, me semble-t-il.

- Tiens donc ?! Et le présent texte alors ?

- Entendons-nous : si je parle quelque peu de voyage, c’est que c’est là mon expérience de tous les jours : je suis nomade, voyageur, touriste, vagabond, et tout ce qu‘on voudra du même tonneau. Asticotant mon clavier, j’explore par écrit la situation, en même temps que je me remémore ci ou ça tout pendant que je m’efforce de réfléchir un peu au temps qu’il fait, ce à quoi des rencontres m’aident assurément.

- Ta situation t’avantage, car le voyage intéresse forcément plus qu’une vie rythmée par la grille TV.

- Pour autant que ma mémoire soit fidèle, je crois pouvoir dire que, de toutes ces trente dernières années, sédentaire ou bien nomade comme à présent, je n’ai pas consacré plus de vingt à trente heures à ce genre d’occupation.

- En ce cas, comment peux-tu prétendre connaître ‘le temps qu’il fait’ ?

- Je persiste à tenter...

 

Chemins

 

     Le premier touriste venu pourrait avoir connu la même mésaventure que voici. Me promenant mal chaussé en compagnie de H. dans un site dolomitique, je dérape et tombe sur le dos, écrasant du même mouvement la demi boîte de petits pois emmenée pour le cas où. N’a-t-on pas toujours besoin de petits pois sur soi ? m’étais-je dit (le slogan a plus de trente ans, je le jure !). Mais quand on les a sous soi en pareille circonstance, on jure aussi de ne plus s’y laisser prendre. Déchirure musculaire ! Je n’en avais jamais connu ; ça ‘fait bizarre’ : vive écorchure à l’intérieur, sueurs froides, nausée, épuisement, prémisses d‘une syncope. Bonne leçon de chaussures ! à qui veut essayer de battre mon - peut-être - record d’écraseur de demi boîte de petits pois à la renverse je recommande d’alerter par avance les services de secours.

     Une autre méchante expérience de marche. Nous prenons, avec D., le sentier qui doit nous mener en une heure à la demeure que restaure au fil des années un petit groupe d’amis, cinq cents mètres plus haut. Par ma faute, nous prenons une mauvaise direction. Je suis dans ma phase ‘surtout ne pas revenir en arrière’, au propre comme au figuré. D., elle, connaît la montagne, mais moi, paysan de la plaine, guère. D. propose de rebrousser chemin pour repartir en sécurité. Je ne la suis pas. Devant mon entêtement, elle décide de tenter le coup par ‘ce chemin qui ne peut que nous y mener, lui aussi’, selon moi. Au lieu d’une heure, nous marcherons treize heures, non compris le temps de bivouac forcé. J’ai compris cette fois ! Le temps passé n’est pour rien dans la leçon. Je parle des sentiers qui s’effacent, des crottes de biques qui se raréfient avant de disparaître, du chemin qu’il faut - eh oui ! - rebrousser, des pierriers qu’on gagne à traverser en se laissant glisser sur des fesses vite endolories. D., bien plus vaillante, doit patienter et patienter car le vieil intraitable traîne la patte. Un chien nous avait d’emblée joyeusement emboîté le pas ; faisant l’aller-retour entre D. et moi, il ne cessera, museau sous l’aisselle, de vouloir me remettre debout quand je flanche. Bonne leçon de montagne !

     En voiture, cette fois. Un chemin escarpé, manifestement fréquenté par des voitures néanmoins. Je l’emprunte. Ma Renault 19 - c’est bien, la R 19, ça a, à la hauteur des sièges arrières, des poignées rivées au plafond : très pratique pour se retourner la nuit - la R19 n’a pas l’adhérence suffisante pour un empierrement aussi meuble. à ma gauche, le ravin. Je m’en suis sorti cette fois. Demi sueur froide. Bonne leçon de conduite !

     Tout touriste téméraire en a reçu de plus intéressantes, j’en suis sûr. Si je ranime ces souvenirs, c’est aussi parce que ‘mon’ éditeur a aimé mes pages qui précèdent et que je lui ai promis un certain volume... Eussé-je poursuivi si ledit éditeur n’avait pas marqué son intérêt ? Pas sûr. Il arrive que, entre écrire laborieusement tout en doutant et ne rien faire, je préfère spontanément la seconde option ! Car le défi comme le plaisir ont des limites, non ? (interrogative)

     Autre balade, en compagnie de J-R. Nous rencontrons par deux fois, à quatre kilomètres de distance, le quasi-même nom de hameau : Bronuel/ Bromuhel. ‘Uhel’ signifiant ‘haut’ dans la langue locale. étonnement de constater que ce nom désigne par deux fois un habitat encaissé, donc bas. Il me faudra y revenir à plusieurs reprises avant de pouvoir ébaucher une explication : depuis chacun de ces deux lieux, l’on aperçoit à l’horizon, par beau temps, deux ‘menez’ - appelons ça des ‘montagnes’ - dont forme et disposition ne sont pas loin de représenter une mignonne poitrine féminine. Même le pluriel - bronoù uhel - s'y sous-entend. Mais, bon, me demanderez-vous, de quel savoir puis-je me targuer pour avancer mon interprétation ? Eh bien, primo, je crois savoir que, dans l’histoire de l’humanité, il ne fut pas toujours besoin de TV pour alimenter les fantasmes ! Secundo, la preuve par Giono inversé : 'Ce beau sein rond est une colline' – Manosque des plateaux.

 

Le dernier des cultes

 

Dans un village, j’assiste à  un dialogue entre un indigène, vieillard érudit, et un réalisateur de films qui passait par là - tiens donc, encore une autre engeance de voyageur ! Le premier tente de convaincre le second - qui voudrait bien filmer ça ! - que certaines courbes de la topographie ont joué un rôle dans un culte local de haute lignée. Malheureusement, le filmeur avoue ne rien ‘voir’ dans ce qui lui est désigné qui puisse ressembler à une parturiente.

- Je suis désolé. J’entends ce que vous me dites, la tête, la chevelure, les seins, le ventre gros, mais ils ne s’appliquent à rien de ce que j’ai devant moi.

     L’indigène a plus de chance avec moi qui ai l’oreille compatissante. Il ne lui en faut pas plus pour qu’il m’invite à le conduire non loin de là, où il a ‘autre chose à me montrer‘. Nous parvenons à une monumentale chapelle que l’omniprésent culte catholique a érigé - au XVème siècle ? je ne m’en souviens plus. Puis nous traversons quelques champs sur un kilomètre environ, pour parvenir à une fontaine surmontée d’un détestable - opinion personnelle, que j’ai gardée pour moi - bas-relief de trois personnages : non pas Jésus-Marie-Joseph - trio exclamatoire dont je ne connais d’ailleurs pas de représentation sculptée - mais Anne-Marie-Jésus.

- Dans le coin, cette Anne est présentée avec conviction comme grand’mère de Jésus. Mais Ahn est aussi le nom d’une ancienne ‘déesse’ - pour autant que ce mot ait un sens aujourd’hui. Quant à Marie - on le sait - elle est la mère. L’image désigne Jésus inscrit dans une filiation, mais aussi comme le rupteur du principe antérieur de filiation, qui passe de féminin à masculin.

- Oui, c’est une interprétation possible...

- établissez donc le parallèle : le saint local - un saint diablement voyageur, puisqu’il vint d‘au-delà des mers, puis parvint à se dédoubler pour se faire honorer en divers endroits distants de quelques journées de char à bœufs - eh bien figurez-vous que ce saint est présenté tout à fait catholiquement comme ayant dû lutter avec courage - et succès, bien sûr ! - contre un culte païen rendu à une déesse. Ceci n’explique-t-il pas cela, selon vous ?

- Tout ça est de l’histoire ancienne. Quel intérêt aujourd’hui ?

- Attendez ! Vous allez comprendre que l’histoire ancienne produit encore du nouveau ! Quand j’étais tout gosse, la chapelle recevait, le jour du pardon, des pèlerins venus de loin, et qui fréquentaient tout aussi assidument un autre site, situé à moins d‘une lieue, lu aussi de rite féminin. Vous savez, il n’était guère compliqué de découvrir les origines des pèlerins à cette époque : il suffisait d’observer les coiffes, ce que je faisais avec grand plaisir sans soupçonner à quel autre plaisir intellectuel cela me servirait plus tard. Dans le souvenir que j’en ai, ces pèlerins étaient principalement des femmes.

- Vous voulez dire que des traces de ces anciens cultes étaient perceptibles jusqu’à votre jeunesse ?

- Non, non ! pas des ‘traces’ comme vous voulez le croire : c’est le culte ancien lui-même qui s’est perpétué par la grâce des rites nouveaux, et ce, d’ailleurs, par-delà ma jeunesse. J’estime que ces femmes venaient là pour l’eau de la fontaine, pas pour le Credo. Autre chose : la distance entre la chapelle et la fontaine - au-delà des raisons pratiques : on ne construit pas n’importe où, c’est bien évident - indique bien celle que les cathos ont tenté de prendre d’avec l’ancien culte. Il n’en demeurait pas moins que, les jours du ‘pardon’, une procession conduisait encore tout ce monde, il y a moins d‘un siècle donc, à la fontaine, naturellement miraculeuse. Arrive là-dessus ‘le remembrement’ agricole. Par le fait, la voie reliant la chapelle à la fontaine se voit effacée. Du coup, la procession est effacée elle aussi. Et voilà comment, dans le seconde moitié du XXème siècle, l’administration laïque se met au service de la christianisation d’anciens cultes dans l‘un des rares pays où église - au singulier, notez - et état - tout aussi au singulier - font bande à part ... Mais, si vous me le permettez,  je m’en tiendrai là, cher Monsieur, pour aujourd’hui. Imaginez-vous que si j’exposais publiquement l’entièreté de mes réflexions concernant cet espace, j’exposerais ipso facto ma vieille carcasse à un réel danger ? Dans un siècle ou deux, peut-être, peut-être, quelqu’un pourra-t-il le faire en toute quiétude...

     Off the record, boisson locale aidant, j’en ai beaucoup beaucoup appris. Mais une parole donnée est une parole donnée, non ?

 

     L’anti-héros d’Erostrate de Sartre figure l’anti-humanisme déclaré : il faudrait, dit-il, ‘aimer les hommes ou bien c’est tout juste s’ils vous permettent de bricoler. Eh bien, moi, je ne veux pas bricoler. Je vais prendre tout à l’heure mon revolver, je descendrai dans la rue et je verrai si l’on peut réussir quelque chose contre eux.’ Je découvre au passage le mot ‘impolitique’.

     Petit ou grand écart ? La question se pose à qui ne retrouve pas ses petits dans ce qu’il lui est proposé de ‘vivre’. Le petit écart - se mettre à vagabonder, par exemple - ne concerne en apparence que celui qui le pratique. Le grand écart - prétendre tirer dans le tas comme le préconisait le comédien pour de semblant Breton  - a-t-il la moindre chance de constituer un acte plus exactement politique ?

     Le personnage public qu’endosse le vieil indigène érudit, lui, se faufile, mais in fine se défile. Sa force, toute intérieure : être seul contre tous. Sa faiblesse : les avoir tous contre lui.

     Pour avoir quelquefois fréquenté des militants de ci ou de ça, je crois que cette même posture leur convient. Et pour avoir même été jusqu’à défiler une fois ou l’autre au nom d’une cause plus que noble, j’ai pu éprouver très physiquement combien cette liturgie a pour effet premier d’attiser l’écart entre les défileurs et les autres.

     Je ne puis rien dire des désobéissants et autres faucheurs volontaires, qui enfreignent l’ordre fou, car je n’en connais pas.

 

Ramer

 

     A. accumule les défis. Il n’y a pas si longtemps encore, elle était rouage dans la machine à pognon. Et puis elle s’est dit ‘Basta ! C’est pas cette vie-là qui m’intéresse !!!’. Décision : traverser l’Atlantique à la rame. Pour une mère de famille qui ne connaissait la mer que par intermédiaire, n’était-ce pas loufdingue ? Et elle le fit. Une fois. Deux fois. Et le virus ne démord pas. Cette fois, elle veut se confronter au Pacifique en CataKiteSurf.

 

J’entretiens mon enfance

 

     O. a pris l’habitude d’installer sur le trottoir un verso de papier peint sur lequel elle trace un treillis de type mah-jong.

- L’équipement pour jouer : deux feutres, un bleu, un vert, et c’est parti ! Il y a des touristes qui s‘étonnent : ‘Ah, c‘est autorisé ?’ à quoi je réponds ‘C‘est précisément pour le savoir...’ Parmi ceux qui s‘arrêtent, il y en a qui manifestement se motivent, voire dansent d’un pied sur l’autre, brûlant de s’y mettre. Et il y en a qui s’y collent. Bien sûr, c’est autour du jeu bien démarré que l’attroupement se fait le plus compact.

- Vous parlez de touristes, mais les autres ?

- Des gosses, parfois. Mais les adultes de la ville-même, c’est bien rare. Eux, ce qui les motive parfois, c’est quelque chose de plus passif : m’écouter lire à haute voix, par exemple. J’aime faire ça aussi.

- Vous aimez la rue...

- Vous trouvez ça normal, vous, que ces rues ne soient plus que les allées d’un immense magasin ! D’une immense pompe à fric ? Les saltimbanques de mon genre, aussi, ont une place au soleil, non ?

- Mais vous-même faites la manche, dans ces occasions-là, non ?

- Jamais de la vie ! Je joue. Et ça, ça me paie largement !

- Vous avez donc une autre activité, je suppose ?

- Je suis danseuse.

- Professionnelle ?

- Oui. Mais ’ce que je suis’, c’est ‘danseuse‘. Pas ‘danseuse professionnelle’. C‘est vrai que je suis payée pour ça, si c’est ce que vous voulez savoir, mais j’espère que ça demeurera longtemps accessoire : ‘Vous faites quoi dans la vie ?’  ‘Je danse’.

- Ou vous lisez ! Ou bien vous jouez !

- J’entretiens mon enfance, que voulez-vous ! C’est trop précieux !

- Dans la rue aussi, vous dansez ?

- Je l’ai pas mal fait, oui, avec une partenaire. Nous partions du mouvement naturel de deux copines se promenant dans la rue, et ça devenait progressivement des postures, ou des rythmes que le corps n’adopte habituellement pas en public. Les gens n’ont aucun problème quand ils ont payé pour venir voir ça sur scène, mais en pleine rue, c’est autre chose ! C’est fou, un mental qui vous pollue à ce point !

- Vous avez présenté ces chorégraphies dans des festivals de théâtre de rue, je suppose ?

     La conversation s’est brusquement arrêtée net. J’ai eu droit à un dernier regard interloqué, aussi fulgurant que compatissant. J’ai compris, aux - beaux - yeux d’O., que je n’avais à peu près rien compris à sa démarche... Snifff !

 

Se mouvoir sous le soleil

 

     J., est un ami nomade, saltimbanque comme je ne le suis vraiment pas, mais nous sommes mus l’un comme l’autre par ce que Harry Martinson appelle ‘le désir instinctif de se mouvoir sous le soleil, ce besoin que les hommes ont mis en pénitence.’ Il installe parfois ici ou là une guitoune au fronton de laquelle s’étale largement le mot CAISSE. ’Je ne vend rigoureusement rien‘, m’a-t-il dit, ’mais ça marche.’

     Là non plus, je n’ai pas bien compris !!!

 

Hallal, cacher, bio = même combat !

 

     Puisque j’y suis, voici comment j’ai fait la connaissance de M-R.

     Ce jour-là, il y a de cela une paire d’années, je marche le regard au sol, j’aime assez ça, et voilà que me tombe sous les yeux un livricule - je n’ai pas d’autre mot pour le désigner - traînant dans une allée.

     ‘Je suis étudiante en Arts. Je diffuse ce carnet vierge pour que vous y notiez ce qu’il vous plaît d’écrire, dessiner, peindre ou que sais-je... N’hésitez pas à vous exprimer. Et postez votre œuvre à l’adresse suivante : ‘

     Je venais d’écrire à une mienne amie ma conviction ‘Hallal, cacher, bio = même combat ! Tout ça c’est pour espérer entrer dans le royaume des purs’. Je recopie le même courrier sur le livricule de M-R. et je poste.

     Six mois plus tard, et - coïncidence ? - alors que je suis de passage dans la même ville,  coup de fil d’un numéro et d’une voix que je ne connais pas. C’est M-R. Elle souhaite me faire part de ses découvertes à travers son expérience. J’apprendrai surtout qu’elle y est bigrement allée au culot : livricules subrepticement déposés dans les poches des gens, dans les sacs de dames, etc. Provocatrice ? Saltimbanque ?

 

Folie douce

 

     Ah ! S., tenez, en voilà une provocatrice ! Elle est capable de vous faire deux kilomètres dans la ville en souriant à tous les passants croisés - faut dire que, même sans son sourire, elle a vraiment vraiment de quoi séduire !. Ou de disposer dans un passage étroit deux sièges en vis à vis, elle étant assise sur l’un d’entre eux. Ou encore de placer des amies peu vêtues dans la vitrine d’un magasin désaffecté en créant avec des amis un fort flux de va-et-vient en entrée et sortie dudit magasin ; le lendemain, le mirage aura disparu... J’admire l’imagination de S., mais serais bien incapable de la suivre dans ses tocades ! Dommage...

 

Un ascète désopilant

 

     Vu de mes yeux vu, dévalant une haute dune en roulant, un bonhomme au moins aussi usé que moi par les ans. Arrivé au bas, il se remet sur pied, rétablit short et tee-shirt, remonte et se laisse à nouveau rouler. Ayant compté dix roulades, j’ai poursuivi mon chemin. Les autres promeneurs emmitouflés semblaient aussi désopilés que moi à cette vision surréaliste. Peut-être un ascète ? Un ascète désopilant en ce cas !                                                              

 

Liberté égalité Fraternité sinon la mort

 

     ‘Liberté égalité Fraternité sinon la mort’ : je ne connaissais pas la formule entière, issue des francs-macs si j’ai bien compris, et qui préexistait à la Révolution française ; je l’ai découverte au fronton de la mairie de Troyes.

     ‘Le pouvoir pour pouvoir pouvoir’ : la formule est de Font & Val.

     ‘Le pouvoir pour se sentir exister’ : la formule est de moi, tout comme celle-ci : Ni dieu ni maître ni slogan de ce genre ! (je n’en suis pas peu fier !)

     ‘Le travail rend libre / Travailler plus pour gagner plus’ : ici ma mémoire se brouille.

 

     J’en reviens à ‘se sentir exister’ [il y aurait aussi : Ne plus se sentir pisser, mais c’est ‘essentiellement’ autre chose). Exister, donc. Et je me remémore la thèse d’Arnsperger, pour qui le capitalisme est le fruit d’une relation non pacifiée au fameux ‘drame de l‘existence’, à la mort [laquelle est l’exact contraire de l’existence, n’est-ce pas ?]. Se demander, donc, si cette perversion - à mes yeux, tout du moins - de l’existence qu’est l’appétit de pouvoir ne proviendrait pas du refus de cette objective et foncière égalité qu’est l’égalité devant le rideau final. De là viendrait que nous sacrifierions au p. dès que se présente une ‘ouverture’ ? Gagner, monter en puissance, briller, accorder des faveurs, être au pouvoir, aux affaires, ‘faire’ du fric, juger, conseiller, faire le médecin, être une maîtresse femme, obtenir le silence, jouir d’un ascendant, séduire, retenir l’information, pouvoir dire non, violer, tenir le haut du pavé ou la dragée haute, égorger son voisin, maîtriser l’argent du ménage, avoir un public, emprisonner, fixer des objectifs, administrer, arbitrer, être le patron, essorer un débiteur, menacer, et ainsi de suite. ‘Connaître par l’intelligence, c’est d’abord affirmer sa propre autorité’ écrit le lecteur d’un livre que je trouve chez un bouquiniste.

     Et il y a échec à déchoir, voire à traverser de situations où ne serait-ce qu’un p’tit chouia de p. est perdu au passage…

     Maintenant, j’y colle mon hypothèse : n’obéiraient que ceux qui caressent la perspective de se faire eux-mêmes obéir.

     Confrontons. Il en sort quoi ?

     Rien ? C’est fort possible ! Ne nous décourageons pas pour autant !

 

     Me frappe ceci : les humains sont concentrés - physiquement ou non - en des lieux de travail qui sont des haut-lieux de pouvoir.

     Et on les fait baver d’envie de s’y voir ramasser.

 

Convictions

 

     Il est fréquent que les organisations aux buts généreux révèlent d’invraisemblables pratiques de pouvoir. Je note dans le Petit traité de désobéissance civile de Chloé Di Cintio les propos d’un formateur, Hervé Ott, au sujet des quelques mouvements de désobéissance repérés en France :

‘La structure psychologique des leaders est toujours la même : ce sont des gens pleins de peurs. Ils ont à travailler sur leurs peurs pour devenir démocrates et républicains. Cependant leur force est d’être intuitifs, voire visionnaires. Ils répondent au besoin de direction et de sécurité en donnant des objectifs. Mais le plus souvent, ils entraînent par la séduction, et non par un travail d’animation et de débat en interne. (…) Les leaders qui fonctionnent dans un sens démocrate, on ne les connaît pas. Ceux qui émergent sont les plus ambigus. (…) Les convictions sont le cache-sexe des peurs. Une fois les peurs parties, il reste peu de convictions.’

     Tout se passe comme si, à l’échelle des organisations restreintes comme à des niveaux plus massifs, l’outillage pratique de la démocratie restait en permanence moyenâgeux (prises de décisions, résolution des conflits, etc.) sans que ça préoccupe.

     Situation qui ne peut que conduire au découragement de ceux qui ’y sont’ comme de ceux qui pourraient ‘y être’.

     Imaginons que soit consacrée à l‘élaboration d‘un tel outillage autant d’énergie que, par exemple, à la sophistication du marketing ! Ce rapprochement est-il dénué de sens ? L’école, bien entendu, n’aurait rien à faire dans cette histoire n’est-ce pas ? elle a trop à faire avec les programmes, le maintien de l’ordre, etc.

     Si l’on imagine de grandes et petites communautés intentionnelles où s’invente et se pratique un modèle réellement alternatif de vivre ensemble - en donnant à l’élaboration de ce modèle au moins autant d’importance que les buts externes qu’elles se fixent - leur capacité à attirer ne pourrait-elle pas être tout simplement énorme ?  Existerait-t-il, d’ailleurs, d’autres manières de rompre ?

     Les litanies sur ‘la disparition des préoccupations collectives’, avec ou sans mention spéciale ’chez les jeunes’, et autres ‘montées de l’individualisme’, ne reflètent-elles pas une bonne dose de complaisance ?.

 

Facebook

 

     ‘Les amis de mes amis sont mes amis’ : grâce à l’internet, je viens de franchir la barre des mille deux cent amis. Qui dit mieux ? Chaleureuse communauté s’il en est, qui me donne le sentiment d’exister vraiment ! Merci Facebook ! Quand je pense à tout ce temps que j’ai perdu à étudier Dale Carnegie Comment se faire des amis, pour un résultat tellement décevant… Vraiment, merci le nouveau paradigme !

 

égalité

 

     Un club : égalité Foncière. Ce sont des gens très bien, épris de justice égalitaire. Sûr qu’ils vont quelquefois plus loin que je ne l’accepterais de prime abord - quand ils estiment par exemple qu’un arbre a la même perception de l’existence qu’un humain - mais mais mais ils ont tout de même bien du mérite ! J’aime leurs slogans, particulièrement décapants, comme par exemple : ‘Le droit des hommes à compter pour du beurre’. Or j’eus la chance de me trouver nocturnement présent lors d’une rencontre entre trois Dignes & Joyeux Membres (DJMs) de ce club (principalement des gens de pouvoir, un peu gênés d’en avoir tant d’ailleurs, mais qui ne semblent pas près d‘y renoncer, faut tout d’même pas exagérer…!). Il y avait là un député, un juge et un avocat. Je connaissais l’avocat, un cousin de ma copine, ça explique.

     Le sujet était : le droit est en retard, faut booster son évolution. Et ce, à l’occasion d’une situation archiconnue : la différence de traitement entre les retraités allant vieillir sous les tropiques d’une part, et les tropicaux venant en France faire valoir leur propre droit à la mobilité.

     Eh bien , j’en ai appris ! J’imaginais bêtement que l’Assemblée fait les lois, que le juge les fait appliquer, et que les avocats accompagnent leurs clients devant la justice. Mais c’est que j’avais tout faux ! Si j’en parle ici, c’est parce que je ne pense pas être le seul à avoir si longtemps nagé dans l’erreur.

     Comment le trio voyait-il donc possible l’évolution du droit dans le domaine que j’ai évoqué ? Eh bien, ça a commencé par l’avocat, qui énonçait : ‘Faut que je trouve le cas idoine’. Le juge l’assurait : ‘Si c’est moi qui juge, je pourrai m’appuyer sur ton argumentation pour créer de la jurisprudence.’ Et le député : ‘Si ta jurisprudence s’impose, nous pourrons faire pression sur le gouvernement pour qu’il nous charge de modifier la loi.’ C’est résumé, bien sûr…

     Merci à égalité Foncière de m’avoir déniaisé cette nuit-là !

 

Graines de non-école

 

     R et H. avaient concocté un projet, qui n’a pu se réaliser. R., passionné d’aménagements naturels (cours d’eau, notamment) disposait d’un ancien moulin sur bief, aménagé pour l’accueil de groupes.. H., quant à lui, avait en tête de créer une école alternative. Un ami les met en relation. La mayonnaise prend. Il en émerge un projet original : créer une …non-école.

     Cible : des jeunes préparant le bacc par correspondance. Recrutement à 18 ans minimum - autrement dit, pas de mineurs - sans âge maximum. Motivation exigée pour une vie en groupe et une gamme d’activités débordant le ‘programme’.

     Pas de profs : les cours par correspondance sont là pour fournir ce qu’il faut. La non-école est là pour faciliter à la fois le travail scolaire des jeunes - étudier seul dans son coin, c’est pas si évident ! -, mais aussi les initiatives qu’ils pourraient prendre. Mais faciliter, seulement. Des coups de main bénévoles étaient de surcroît attendus du voisinage.

     H. avait rédigé et auto-édité une réflexion sur l’école. Selon lui, l’enseignement conventionnel est adapté aux élèves conformes mais, pour les autres, des ’détours’ accompagnés sont la seule solution : il allait jusqu’à imaginer que, revenant dans l’enseignement conventionnel après un détour, cette deuxième catégorie pourrait y devenir le ferment d’un bouleversement profitable aux uns comme aux autres. Rêve, probablement, mais il n’empêche que ce projet de non-école s’inscrivait dans cette notion de ‘détour’ en laissant au jeune la totale responsabilité de son parcours.            

     Pas d’hébergement sur place - des logements vides se trouvent aisément à proximité, hors saison touristique -, mais quelques équipements : ateliers techniques, écurie, centre de documentation et locaux de rencontre destinés à constituer le site autour duquel non seulement les jeunes mais aussi les personnes du voisinage pouvaient avoir des raisons de se retrouver. Facilitation de stages divers à proximité.

     Et puis, ce défi : remettre ensemble la rivière en état, avec un programme sur deux ans pour commencer.

     Las, un événement remet tout en cause : R. décède.

     H. s’est mué en un colporteur de graines de non-écoles.

 

Non-école

 

     Autre type de ‘non-école’ ? Le mot n’est pas en vigueur dans cette école de langues, mais il le pourrait, me semble-t-il. On y trouve des profs, mais des profs un peu particuliers.

- S’ils ont été de vrais ’profs’ antérieurement, il doivent en passer par une période de conversion de dix ans !

- Rude ! Mais pourquoi donc ?

     Parce que, m’expose N.,

- être un enseignant ordinaire, c’est avoir adopté un formatage qui semble tout ce qu’il y a de ‘naturel’. Avez-vous remarqué combien un étudiant est apte à enseigner du jour au lendemain ? Bien sûr, la pédagogie et tout ça, il ne connaît pas forcément, mais il adopte l’habit d’enseignant sans que ça lui pose le moindre problème quant au principe ! C’est quasiment dans ses gènes. S’en défaire, ce n’est pas si simple !

- Mais pourquoi donc s’en défaire ?

- Reprenons. Le but de notre école de langues est de mixer les avantages de l’apprentissage académique à celui de l’immersion. On dit souvent que pour savoir parler une langue, rien ne vaut d’aller vivre dans un pays où elle est pratiquée. Oui, peut-être, mais la connaissance d’une langue ne se limite pas à ça ! Un enseignant américain de français me disait un jour ‘Les Français ont de la langue anglaise une bien meilleure connaissance que les Américains.’ Je m’en suis montrée surprise, évidemment ! Les Français, si nuls en langue ? Mais il me parlait de grammaire, en réalité…

- Comment mixez-vous les avantages de l’une et l’autre approche ? Et, je répète ma question : ’Pourquoi un prof ne trouve-t-il pas grâce à vos yeux ?’

- Un prof - appelons-le un prof ‘ordinaire’ - même avec la meilleure bonne volonté, ne saura pas partir de l’expérience pratique que l’apprenant a de la langue dans laquelle il est en train de se perfectionner. Il doit littéralement se révolutionner s’il veut être l’appui utile dont celui-ci a besoin. Quant à savoir comment nous mixons les deux approches, eh bien voici. L’établissement reçoit des élèves de diverses langues. Nous sommes en France, ce qui fait que beaucoup d’apprenants sont chez nous pour apprendre le français. Nous recrutons autant d’élèves francophones désireux d’apprendre l’une des quatre autres langues dont nous sommes en mesure d’accompagner l’apprentissage. Nous recevons au minimum 50 apprenants de chacune de ces langues, ce qui fait que l’établissement reçoit des vagues de 400 à 500 apprenants. Chaque apprenant est présent pour trois séquences - dans certains cas, quatre -  de huit semaines entrecoupées de stages d’activité. Tout au long de la journée, les apprenants mènent une grande partie de leur activité sous forme de binômes réunissant un francophone et un apprenant de français, de niveaux et centres d‘intérêt les plus compatibles possible. Au bout de deux semaines, chaque binôme est en mesure d’élaborer lui-même tout son matériel pédagogique, à l’oral comme à l’écrit. Nous estimons que cette élaboration en commun constitue une bonne moitié du travail d’apprentissage. Par principe, chaque apprenant entre dans au minimum cinq binômes durant une même séquence de huit semaines. Et, de découvertes en erreurs, de désespoir en franches rigolades, passant de leur matériel auto-élaboré à la conversation courante et à des pratiques comme la cuisine, les histoires drôles, l’atelier de mécanique ou d‘informatique, les voilà naviguant allègrement.

- Cette manière de faire vous vient d’où ?

- Nous n’avons pas tout inventé, en effet. Au départ, c’est une expérience menée durant plus de dix ans dans une ville bilingue (60/40) qui a attiré notre attention. Mais là-bas, nulle attention n’était portée à l’élaboration de matériel pédagogique. C’est là qu’a résidé notre première innovation. Notre second apport a consisté en la formation de profs aptes à accompagner les apprenants de manière très particulière, qui ne manque pas d’être frustrante au tout départ puisque c’est l’apprenant qui a les rênes pour le meilleur et pour le pire…

- Le pire ?

- Nos sociétés, infantilisantes, fournissent aux personnes en construction - ou du moins prétendent leur fournir - des échafaudages tellement colossaux que, lorsque ceux-ci en viennent à faire défaut, il arrive que ces personnes connaissent des crises d’insécurité. Une bonne partie du travail des ’profs’ - nous persistons à les appeler ainsi - est consacré à ne pas dissocier cette dimension de la partie linguistique proprement dite.

 

Heureux

 

     ‘Regardez comme nous sommes heureux !’ L’ardoise écrite à la craie est en bonne place au mur du restaurant. Rare, non ?

 

Jeu de pouvoir

 

     ‘Gagner, monter en puissance, commander, etc.‘. Je me suis amusé à placer sur un graphique un très grand nombre de verbes ou expressions désignant de près ou de loin le p. : autour d’un centre, et sur divers axes. ça doit pouvoir se jouer utilement à plusieurs, non ?

 

Interrogations

 

     Du côté de ceux qui ne commandent pas forcément, il y a ‘appartenir’. Pas plus de société sans appartenance que sans récit. Du club de motards au parti politique en passant par la famille, tous appartiennent. Bien sûr, il y a des chefs là-dedans mais, cette fois, ce ne sera pas là mon sujet. Ma question est : jusqu’à quel point la fusion ? Sous forme de nostalgie de la situation in utero ?

     Qu’est-ce qu’un concert de rock truffé de substances, un  apéro Facebook, une célébration  évangélique ?

     Fut un temps où l’on se définissait comme appartenant - c’était parfois au sens littéral - à une entreprise, à une classe. Socio-professionnalité éteinte, aujourd’hui ? On est plus facilement geek, non ? ou fan d’un club de football ? Avec fierté… En tout cas, par choix.

     Le racisme et l’ostracisme - quel choix ? - que connaissent les barbares en tous genres joueraient-ils comme activateurs d’appartenances reconnues ? Voire, en certains cas, revendiquées ?

     Appartient-on encore à une entité qui nous englobe quand l‘on est invité, comme c’est le cas des syndicats grecs, à manifester en restant chez soi tout en éteignant la lumière durant une heure ? Finie l’agglomération physique. Quand on ne peut plus compter sur le grand nombre et quand, de surcroît, les apparatchiks syndicaux sont frères jumeaux de leurs équivalents dans l’appareil d’Etat avec qui ils partagent bien des influences, quel sens donner à ce message implicite : ‘Restez chez vous, nous nous occupons du reste’ ? L’histoire ne dit pas si l’on peut continuer à s’exposer à la TV durant ce temps…

     Le besoin de rassemblement physique, d’assemblée - d’où vient ‘église’, il me semble -, n’est-il pas constitutif de l’humanité comme elle a existé jusqu’ici ? Or, même dans les Assemblées du peuple, les délégués votent désormais sans y être présents. Visitera-t-on bientôt les hémicycles comme on visite les ruines romaines ?

     [Pour ce qui est des interrogatives, je progresse, non ? Déjà une phrase sur deux…]

 

Autorité

 

     Sur un livre de Bataille que je trouve chez un bouquiniste, un lecteur a porté l‘annotation ‘Connaître par l’intelligence, c’est d’abord affirmer sa propre autorité’.

     ‘Quid de l’autorité désormais ?’. Un directeur d’établissement scolaire avait rédigé, il y a quelques mois, une opinion que publia la presse nationale. Je l’ai invité par courrier à créer de fait la section spécialisée d‘un ‘Collège de l’émergent’ consacrée à l’autorité, en lui précisant que j’étais tout disposé à mouiller ma chemise pour organiser un groupe de - vrai - travail de longue durée sur ce sujet. A ce jour, aucune réaction.

     Je lis avec bonheur les écrits du psychanalyste J-P. Le Brun sur la question des ’cadres’ qui font de plus en plus défaut. Pour le coup, c’est moi qui n’ai pu donner suite à une proposition, que je lui fis, d’un travail dans la durée qu’il eût pu accompagner. Qu’il m’en excuse !

 

Servilité

 

     J’en viens à ‘obéir’, qui est l’objet réel - me semble-t-il - de mon investigation.

     Y a-t-il quelque chose de commun entre obéir à une norme et obéir à un ordre ?

     Si vous entreprenez votre médecin traitant en lui assénant qu’il est un - qu‘il n‘est qu‘un - ‘obéissant’, il se pourrait qu’il s’offusque. Or, tout médecin se place dans une norme, non ? Pour le pire diront certains. Point n’est besoin qu’il reçoive des ordres pour qu’il se comporte ‘comme il faut’. Pourtant, si : les sanctions existent...

     Les normes des médecines alternatives sont - elles aussi - des normes, non ?

     Dans bien des professions libérales, au sein desquelles j’englobe même certains salariés - profs, personnels de santé, etc. -, la norme se traduit de plus en plus par des ordres, explicites ou non. C’est nouveau. Le plus souvent au nom de la ‘gestion’.

     Gestion ’des populations’. Ce vocable ‘les populations’ me fait hérisser le poil. Même des appels à la générosité s’écrivent désormais dans ce vocabulaire technocratique ! Je préférerais aider ‘ceux de Haïti‘, plutôt que ‘les populations’ de ce pays !

     Des médecins désobéissants, il en existe pourtant, qui ne soumettent pas leurs propres enfants aux vaccinations obligatoires, par exemple. La moitié du corps médical français a sauvé son honneur à mes humbles yeux en ne se soumettant pas à la vaccination conseillée. Un président de la République aussi paraît-il mais, si j’ai bien compris, il s’agissait chez lui de couardise. ça ne se range pas dans la même catégorie…

Affichée sur la cheminée, chez l'ami chez qui je rédige aujourd'hui, une phrase de Bernard Noël : « Il y a, tout au fond de moi, une servilité millénaire : elle me fait peur quand je l'aperçois, et il me faut sans cesse reconquérir la volonté de l'apercevoir.  »

 

Obéir / Désobéir. Encore.

 

     Les gouvernements européens tentaient jusqu’ici de désobéir subrepticement au ‘gendarme’ qu’ils s’étaient auto-construits, l’hydre de Bruxelles.

     Oui mais voilà : les trafiquants d’argent - comment les désigner autrement ? -, aux appétits désormais sans limites, ne se satisfont plus de cette marionnette surannée.

     C’est désormais aux agences de notation de prendre la relève. Et comment ! Le risque de raclée fait désormais frémir en haut lieu à hauteur de milliards d‘euros, quand jusqu’ici l’on se contentait d’être bon élève en espérant recevoir du maître financier quelques caresses.

     Or voici que le maître raccourcit la laisse. La crise lui a donné une juste mesure de la démesure à laquelle il peut s‘adonner ! Désormais, c’est ‘à la niche, Médor !’

     Si, au passage, la vouivre bruxelloise - son jeu terminé - est amenée à s’auto-décomposer, aucun souci : ses anciens fonctionnaires trouveront toujours, jusqu’à leur propre mort, à se recycler en intervenants scolaires pour en vanter les mérites …passés ! Et son éphémère et diaphane président non élu Van Rompuy pourra bien retourner à ses chers haïkus.

     S’agissant des choses sérieuses, la chaîne du commandement peut désormais se passer de toute cette mise en scène !

     Oui mais : A vos ordres ! est-elle la bonne réponse ? Ou bien le désobéis-sage doit-il monter d’un cran ?      

 

Moins, c'est plus

 

     La Poste s’affaire hardiment à fermer des bureaux de poste. Celui des Corbières où je viens d’aller relever mes e-mails devait lui aussi fermer. Comment ne pas trouver la décision de bonne gestion quand l’on sait que, sur ce territoire, la densité de population est inférieure à celle du Sahel ? Sauf que l’élu ne l’a pas entendu ainsi. Mais pas du tout ! Mieux : au lieu de défendre l’existant, il en a étoffé l’offre : internet, bibliothèque, relais Caf, etc. Bien sûr, cela représente un coût pour la collectivité, coût dont je ne me suis pas enquis. Résultat : par contamination, des communes voisines qui, au départ, n’avaient pas de bureau de poste en disposent aussi maintenant, ainsi que d’une bibliothèque, etc.

 

Une ville à la campagne

 

     L’élu d’un département voisin concocte, lui, un projet de toute autre envergure, et autrement culotté : faire surgir en plein désert une ville nouvelle !

     Attirer des habitants, condition pour que se maintiennent de ci-delà quelques écoles, n’est pas toujours aisé selon les voies habituelles. Qu’à cela ne tienne, sortons-en ! a-t-il fini par se dire.

     Et comment !

     La dimension optimale de ’sa’ ville, à l’échéance de huit à dix ans après le premier coup de pioche, est de 12 000 habitants. Elle serait établie autour d’une usine de montage de véhicules d’un type nouveau dont la propulsion sera assurée par un moteur à air. Rien à voir avec les moteurs Pantone, dits à eau. Ici, c’est d’air comprimé qu’il s’agit. Les principes qui guident les franchiseurs d’usines de production de ces véhicules ont attiré l’attention de l’élu, la rencontre a eu lieu, le tour de table financier ‘pour voir’ est en cours. Restait l’interrogation : comment trouver les ouvriers et autres compétences nécessaires ?

- Nous les ferons venir.

- ça ne se fait pas en claquant les doigts, que je sache !

- Primo, des gens en recherche d’emploi, dans un périmètre de cinquante kms, il y en a !

- Les déplacements ne sont plus très bien vus…

- Eh bien, justement : l’enjeu est là. Nous voulons - non pas loger le personnel - mais lui proposer d’habiter sur place. Pour cela, pas d’autre solution que de créer une ville nouvelle.

- Une ville à la campagne ?

- Oui, quelque chose comme ça, car l’enjeu sera de garder les attributs campagnards.

- Le principe est aisé à énoncer, et de surcroît attractif, mais en réussir la réalisation ! ça s’est déjà fait ?

- Peut-être le saurons-nous en cherchant davantage, mais pour le moment nous n’avons rien trouvé de ce genre.

- Concrètement, avez-vous déjà énoncé quelques orientations majeures ?

- Nous y sommes attelés. Primo, l’exploitant qui sera retenu devra privilégier les emplois à temps partiel : mi-temps, tiers-temps, etc. C’est ainsi que nous espérons attirer aussi d’autres personnels que les demandeurs d’emploi de la région. Notre pari est que, aujourd’hui, des tas de gens - y compris de niveaux de compétences élevés - sont en recherche de conditions de vie alternatives. Qu’un ingénieur ou un avocat s’embauche pour travailler à la chaîne ne sera pas à exclure. Le temps partiel en est la condition, puisque selon nous, le salaire ainsi obtenu permettra de faire face aux besoins monétaires élémentaires. Secundo, l’existence dans la nouvelle ville doit - indépendamment de l’usine, cette fois - permettre de satisfaire d’autres besoins élémentaires : l’alimentation, par exemple. Pour ce qui est du logement, il s’agira d’une véritable révolution puisque les normes habituelles seront rendues complètement obsolètes.

- Une ville extraterritoriale, en somme ?

- Quelque chose comme cela, oui. Une ville avec statut de ville expérimentale en tout cas.

- Concrètement, pour ce qui concerne l’habitat…

- Eh bien, une forte dose d’auto-construction, par exemple.

- Vous comptez sur l’attractivité de la ville à la campagne pour réunir la main-d’œuvre nécessaire à la fois pour l‘usine et pour la construction de la ville, c’est cela ?

- En effet. Des tas de gens en rêvent, et gardent leur rêve sous cloche, car les situations habituelles présentent trop d’obstacles. Il faut partir de zéro.

- J’ai quelque peine à voir comment les aménagements et équipements collectifs trouveront à se faire financer en période dite de crise.

- Les villes du far-west américain se sont construites en périodes d’abondance, croyez-vous ? De toutes manières, crise ou pas - et même surtout en période de crise, dirais-je - des moyens de financement inhabituels sont à portée de mains.

- Puisque vous le dites… Premiers coups de pioche, quand ?

- Dès que le tour de table au sujet de l’usine est terminé. S’il échoue, ça nous aura tout de même bien fait phosphorer, et cela m’étonnerait fort qu’il n’en sorte pas quelque chose d’un peu hors normes, au besoin à échelle plus réduite…

- Une chose me paraît délicate : combien la commune compte-t-elle d’habitants à l’heure actuelle ?

- Un peu moins de trois cents. Et la communauté de communes n’atteint pas les mille deux cents. Je vois ce que vous voulez dire : y inclure en quelques années plusieurs milliers de nouveaux habitants constitue une gageure, nous le savons. Peut-être irons-nous jusqu’à constituer non pas seulement une commune nouvelle, mais un ensemble de six à huit communes nouvelles, réunies dans une communauté de communes un peu spéciale.

- Le préfet doit vous voir d’un drôle d’œil !

- Oui et non. Bien sûr que nous l’obligerons à une gymnastique inhabituelle, mais d’un autre côté, cette initiative répond à un besoin urgent de rééquilibrer les choses sur ce territoire. La principale ressource financière du département est désormais la tourisme, et qui plus est un tourisme mono-saisonnier. D’autre part, les nouveaux habitants que l’on voit y arriver sont en majorité des gens de votre âge, des retraités. Il y a là deux déséquilibres qu’il faut corriger. Et nous ferons la part belle aussi bien à ce tourisme - en cherchant à en étendre le calendrier - qu’aux retraités, qui nous seront certainement fort utiles !

- Même si vous n’êtes pas élu écolo, ça se fera sous cet étendard ?

- Je préfère ‘post-écolo’ !                   

    

Sex and Life

 

     à 14 ans, découvrir le monde et découvrir le sexe, c’est tout un’. Affirmation de F., ex-institutrice, aujourd’hui psychanalyste. Ses expériences en collèges, dont elle est venue faire part à des parents, en banlieue de grande ville, m’ont convaincu.

     ça m’interrogeait déjà que le sexe contemporain soit exclu de l’école - comme le sera bientôt à peu près tout ce qui frappe à ses portes ?. Non que le sexe émerge soudain dans l'humanité ! mais ‘est’-il encore ce qu’il était il y a cinquante ans ? Or l’éducation sexuelle - au programme ! - ne date-t-elle pas de plus de cinquante ans ?

     Le propos de F. m’éclaire. Mais qui sera assez courageux pour s’intéresser à l’école du sexe ?

 

     Le vicaire qui assurait mon éducation religieuse aimait beaucoup que je vienne lui rendre visite. Je portais, en été, des culottes courtes.

 

     à l’échelle interindividuelle, le pouvoir emprunte souvent les voies du sexe, non ?

 

     Plus tard, j’eus l’occasion de passer plusieurs jours avec une demi-douzaine de prêtres pour qui j’étais l’animateur d’un T-group. Dans ce genre de circonstances - stage résidentiel, petit groupe, conversations libres - quoi d’étonnant à ce que les questions sexuelles soient souvent présentes. Et elles ne furent pas que présentes : elles furent archi-présentes ! Comment des humains, privés de vie sexuelle ordinaire, ayant de surcroît à entendre régulièrement en confession des aveux que de jolies personnes venaient leur chuchoter à l’oreille, eussent-ils pu vivre sereinement une telle situation ? J’ai le souvenir ému d’un vieux - il avait, à l’époque, l’âge que j’ai maintenant… - qui, désespéré, avouait que le sexe défendu lui avait occupé l’esprit en quasi-permanence.

     A lire la presse, j’ai l’impression qu’aujourd’hui le joint de la cocotte laisse passer un peu de vapeur !

     Il n’en reste pas moins qu’une bonne partie de ce pays sort tout juste d’un état dont les hommes-clefs-de-voûte ont vécu dans la frustration, des siècles durant.

     Quand mon instituteur, le dimanche, jouait de l’harmonium pour la paroisse dont mon grand-père était membre du conseil de fabrique, et dont les prêtres confessaient toute ma famille, je vivais dans un monde unifié. J’appartenais à la partie largement majoritaire de la commune, celle des cultivateurs qui ne votaient pas communiste. Il m’a fallu, depuis lors, apprendre à faire coexister mes diverses appartenances. ça m’est devenu aussi naturel que me l’était ma mono-appartenance initiale.

 

     Désobéir constituait un péché. Pas obligatoirement du haut de l’échelle de gravité, mais un péché tout de même.

     Avoir des pensées ou des actes ’impurs’ - traduire : d’ordre sexuel - pouvaient, je crois bien, conduire en enfer.

     Lors de orages, dont je m’effrayais systématiquement, mon examen de conscience était fait en un …éclair. Et s’il y avait une ombre au tableau, panique : au cas où la foudre m’eût choisi, je risquais d’avoir à quitter cette belle existence muni d’un billet sans retour pour l’enfer !!!

 

C'est beau, la vie !

 

     Et pourquoi donc cette existence était-elle si belle ? Parce que j'ai toujours eu la certitude d’être aimé, me semble-t-il.

 

     Je pense au bovin que l’agriculteur bio va jusqu’à caliner en l’accompagnant à l’abattoir,  ‘afin que la viande ne porte pas trace de toxines liées au stress’.

 

     J. prépare et aide les gens à mourir. Il travaillait antérieurement dans un service d'hôpital dit de soins palliatifs. Au bout de deux ans, ça ne lui a plus convenu. L'environnement aseptisé, d'une part, et la vulgarité avec laquelle des médecins euthanasiaient l'ont décidé à quitter l'endroit. Dans le home où il pratique désormais, hors de France, une douzaine de personnes sont accueillies simultanément. Un tiers environ  pour une ou deux semaines, les autres pour un long séjour. La mort est bien sûr omniprésente, et les pensionnaires y viennent d'ailleurs pour se pacifier par rapport à elle.

     Étonnant : plusieurs n'en sortent pas les pieds devant. Je croise B., qui fait sa 'sortie debout'.

- J'étais entrée avec la conviction que c'en était fini pour moi : cancer du poumon à un stade réputé inguérissable. Ici, on n'a pas soigné 'mon cancer' ; par contre moi, j'ai pu m'y atteler moi-même, grâce à l'environnement dont j'ai bénéficié.

- Vous vous considérez guérie ?

- Au bout de trois mois, je me considère rétablie. D’ailleurs, je reprends mon travail dans un mois.

     Je poserai à J. la question :

- Exercice illégal de la médecine ?

- Nous ne soignons pas. Nous sommes un home de séjour.

- Et pour ce qui est de l'euthanasie ?

- Nous respectons tous à la lettre la législation de ce pays y compris, cela va de soi, les médecins de diverses obédiences qui interviennent ici, et qui pratiquent à l’occasion l'injection. Il font partie intégrante de l'équipe et se doivent donc d'agir selon la charte du lieu. Il faut reconnaître que leur tâche n'est pas aisée, c’est pourquoi nous devons les accompagner, eux aussi.

- Celle des autres intervenants non plus n‘est pas aisée, j'imagine ?

- Il y faut un grand travail sur ses propres peurs, sur 'ce qui compte', sur ce que c'est de vivre.

- Tout de même, cette mort omniprésente !

- L'origine du drame est ailleurs : il provient de cette dénégation constante de la mort que l’on est amené à pratiquer dans la vie courante.

     J. reste manifestement sur ses gardes. Me soupçonne-t-il d'être l'envoyé de dieu-sait-qui, chargé de le confondre ?

- La mort, faudrait la connaître un certain nombre de fois avant qu’elle soit vraiment là.

- Que voulez-vous dire ?

- C’est l’objet de la plupart de séjours courts : expérimenter des situations se rapprochant de la mort définitive.

- ???

- Au moment de mourir, au-delà du fait que votre organisme abandonne son lien à l’énergie, que se passe-t-il ? Vous abandonnez aussi des quantités d’autres choses : celles de la vie courante, celles auxquelles vous tenez, les personnes que vous aimez. C’est en partie cette séparation qui génère l’angoisse; Même en deux-trois semaines de séjour ici, l’on apprend à relativiser. Et les grands malades y sont aidés aussi, cela va de soi !

- J’imaginais que ces séjours courts concernaient les personnes venant pour l’euthanasie.

- Oui, il y en a, bien sûr. Mais ce n’est pas l’objectif principal du home. Nous le faisons puisque la chose est si mal pratiquée en général et que nous espérons mieux opérer. Notre objectif, c’est la vie. Tant qu’elle est là, c’est elle qui nous intéresse !

 

Grignoti-grignota

 

     Un autre ‘centre’, que je n’ai pu visiter jusqu’ici : on s’y préoccupe de dés-addiction alimentaire. Le prospectus énonce : ‘Les cas graves d’addiction à l’alcool, au tabac et à la drogue ont leurs lieux de désintoxication. Boulimie et anorexie aussi font l’objet de traitements. Plus sournoise est l’addiction alimentaire ordinaire : l’on mange un peu trop, trop sucré, trop mou, grignoti-grignota, l’on voudrait se passer totalement d’alcool, etc.’

     L’on pourrait imaginer aussi la dés-addiction à la vitesse au volant, à ce qu’il est convenu d’appeler travail, à l’exercice du pouvoir, à l’instinct shopping, etc.

 

Tous pour Un

 

     J’ai reçu des nouvelles de F. J’explique donc son projet.

     F. termine une formation dans le but de devenir maraîchère. Divers stages dans ce domaine l’ont convaincue d’abandonner le job de collaboratrice trilingue qu’elle avait pratiqué jusqu’ici. Mais, quand l’on se lance là-dedans ex nihilo, il y a fort à faire, sans oublier les divers impondérables et les - tout à fait pondérables, elles - formalités qui sont tout autant demandées en pareil cas que s’il s’agissait d’une entreprise de plusieurs centaines de salariés.

     Les terres ? F. jette son dévolu sur les 3 ha et demi qui lui sont proposés en location. Reste à construire : l’abri pour une partie des cultures, l’abri pour elle-même - ça s’appelle un logement -, le labo pour le nettoyage des légumes, le hangar de stockage, le garage pour la voiture ‘de fonction’ (eh oui ! celle qui permettra d’aller vendre sur les marchés), etc.

     L’hypothèse qu’elle retient : une tontine en nature. Une tontine est, classiquement, un groupement où chacun met de l’argent pour que le projet de tel ou tel membre puisse se réaliser à l’aide de cet argent. C‘est ‘Tous pour Un’, en somme. La fois suivante, ce pourra être au tour d’’Un’ autre. La tontine en nature reprend cette idée en rassemblant des personnes disposées à prêter main-forte à la réalisation d’un projet. Par cette voie, F. espère recevoir les contributions qui lui permettront de réaliser son installation dans de brefs délais, en se consacrant principalement au maraîchage proprement dit. Sinon, c’est un endettement accru qui lui pend au nez.

     Une dizaine de personnes, durant 3 ou 4 mois au minimum, seront donc les bienvenues. Travail au noir ? Bien sûr ! Procès éventuel si un contrôleur est renseigné-signalé-dénoncé par le voisinage ? C‘est possible. Ce devrait être, en ce cas, le procès des banques - Crédit Agricole en tête -, trop heureuses de bénéficier des services de l’Etat pour dissuader les nouveaux agriculteurs à se passer de leurs services.

- Les prêts que je serai de toute façon forcée de contracter pour mes premières cultures et l’achat des matériaux de construction devraient bien suffire à leur repas de fauves !

     Cette formule qui sera adoptée pour la fourniture gratuite de services sera un Sel-sans-être-un-Sel. C’est pourquoi F. l’appelle parfois  humoristiquement …Poivre.

- Les Sels pèchent par excès de centralisation ; ça génère aisément des perversions quant au pouvoir. Ici, les contributeurs - cuisinier comme charpentier - pourront, s’ils le désirent, faire porter sur un carnet personnel le temps qu’ils auront passé sur le chantier. Pas d’autre authentification. à leur tour, les contributeurs pourront ainsi frapper à d’autres portes le jour où ils auront besoin de coups de main.

- ça n’est peut-être pas un Sel, mais ça n’est pas une tontine stricto sensu non plus !

- Il faudra bien trouver un autre terme, c’est sûr, mais ’Poivre’ ne pourra sans doute pas faire l’affaire ! (rires) Pour le moment, donc, nous nous en tiendrons à tontine : tontine non seulement en nature, mais aussi tontine ouverte à tous vents !

     Partager ainsi nos multiples ressources au lieu de - dans le meilleur des cas - n’en vendre que quelques-unes ? Pour ma part, j’adhère ! Quand est-ce qu’on commence, F. ?

 

Vivre debout

 

     J'ai eu l'occasion de 'transmettre du reiki' à une personne chère, en réseau avec plus d'une centaine d'autres personnes qui lui en transmettaient aussi, à distance, au même moment. Il n'est, dit-on, pas nécessaire d'y croire pour que ça marche, et c'est tant mieux...

     De la même manière, j'ai eu l'occasion de virer 10 € par mois durant un an à un ami en difficulté, en réseau avec de nombreux autres donateurs. L'ami est sorti de l'ornière où le maintenaient les banques. étant donné que ces trafiquants d'argent ne se contentent pas de s'enrichir en Bourse, mais aiment s'en mettre en outre grassement dans les fouilles sur le dos de gens en difficulté, je suis navré de constater combien nous sommes bloqués quant à l'invention de formules de solidarité financière ! Si nous vivions debout, nous regorgerions d'initiatives simples, bordel !

     Hélas, obéir aux banques, voilà une activité ô combien répandue (y compris à titre privé chez les révolutionnaires auto-proclamés, non ?) ! Et qui en est venue à sembler aussi normale que respirer.

     Les descendants d'Abraham que nous sommes tous un peu – même s'il y faut un brin d'imagination, et quand bien même nous nous en défendons - valorisent l'obéissance soumise. L'ancêtre n'était-il pas allé jusqu'à accepter de tuer son fiston sur ordre du dieu irritable ? Feu José Saramago laisse entendre, via son Evangile selon Jésus-Christ, qu’il eût agréé cette filiation si Abraham avait rétorqué : ‘Eh, Dieu, tu déconnes ou quoi ?’ C’est vrai que des siècles et des siècles de soumission à un être d’autant plus exigeant qu’il est absent, ça vous forme de sales esprits !

     Entre se soumettre au réel quand il se montre incontournable – ce que j'admets, en pratique – et se soumettre à un dieu de fiction – ce que je n'admets pas – il y a place à diverses formes d'obéissance, que j’aimerais élucider. 'Pour que l'obéissance ne soit pas une contrainte, il faut qu'il y ait un jardin' ai-je aperçu sur la jaquette d'un livre.

     Le réel nous contrarie souvent. Soit. Les parents ont souvent l'occasion et même l'obligation de contrarier leurs gosses. Mais il y a manière et manière de le faire. Si le parent se trouve lui-même contrarié d'avoir à se comporter ainsi, les carottes sont cuites. Un parent doit, entre autres fonctions, constituer un mur dans lequel le gosse va venir se cogner, autant qu'il le faudra, pour apprendre à faire avec la contrariété et la frustration qu‘elle génère. Que le gosse désobéisse néanmoins, c'est réjouissant à bien des égards ! Mais l'attitude du parent ne doit pas s'en trouver modifiée.

     Parole de grand-parent.

 

Vivant pour la patrie

 

     Les jeunes du début du XXème siècle répondaient 'présent' aux ordres de mobilisation militaire. La notion de ‘patrie’ ne leur posait pas de problème.

     Les enseignants étaient alors principalement des hommes qui n'écartaient pas l'idée d'aller se faire glorieusement trouer la peau. Ils 'appartenaient' à ce qu'ils enseignaient.

     Un prof d'histoire dilettante du XXIème, aussi compétent et pédagogue soit-il, n'aura jamais de commune identité avec un enseignant à l’ancienne ! ‘On ne me la fera pas’, pense-t-il, en arguant de degrés dans l'obéissance.

     Or, c'est probablement ce que se disent aussi, quant à eux, ses élèves ! Et on la leur fera de moins en moins…

 

Construire et habiter au pays

 

     Au bar, je croise ce matin G. qui, outre la musique, pratique aussi la surveillance de collégiens à mi-temps. Après cinq ans de ce métier - il insiste : ce n’est pas un  ‘job’, c’est un métier - il estime être maintenant au top de ce qu’il pourrait y faire. Bien sûr, il faut de la connivence avec les profs. Et ce poste ne peut être occupé que durant six ans.

     Il fait, par ailleurs, l’expérience de vivre dans une maison sans eau courante et sans raccordement à l’électricité. Ce n’était pas un choix, au départ, mais grâce à la faiblesse de ses revenus, ça lui a permis de découvrir des tas de possibilités.

     Prochaine étape : construire sur 20 mètres carrés une maison semi-enterrée, en ‘construction vernaculaire’, c’est-à-dire à partir des matériaux trouvés sur place.

 

un palais aux portes imprenables

 

     D. est vigneron dans le même village. Ici, ne surtout pas dire ‘viticulteur’ s’il s’agit d’un producteur qui vinifie lui-même : D. est donc vigneron. En Bordelais, le vigneron, par contre, est l’ouvrier qui ne s’affaire qu’aux vignes. Mais en Bourgogne, tout comme ici - et pourtant nous en sommes loin -, vigneron désigne celui qui vous fait goûter ses vins.

     D. ne produit plus que du vin de pays. Et bientôt même, peut-être, rien que du vin de table. Il n’y a pas si longtemps, il était producteur de Corbières A.O.C. Mais, sans rien changer à ses vins, il a abandonné l’appellation. Motif ? Un contrôle - normal pour une A.O.C., il ne le conteste pas - mais irritant à divers titres l’a amené un jour à détruire devant les contrôleurs toutes ses étiquettes ad hoc.

     Un jour froid d’hiver, et en réaction aux emmerdements que connaissait un copain, il écrivit :

Se construire un palais aux portes imprenables

Y ajouter dedans toutes nos choses indispensables

Qui ne sont pas toujours aux autres avouables

Et qui pourtant pour nous en sont plus que louables.

 

     Dans le même ordre ?

     Dans les processus dits de ‘certification qualité’, ce qui importe est la standardisation, non la qualité au sens propre. Objectif : que la manière dont la marchandise aura été produite soit vérifiable, parce que toujours identique. Point.

     Une ’qualité’ toujours identique, un monde toujours identique…

 

Voter nul

 

     Au village voisin - décidément, la région est riche ! - J. m’explique comment, aux élections, elle vote 'nul' sans se cacher. Dans sa famille, on était si près des urnes que, enfant, elle avait entrepris une collection de bulletins de vote. Aujourd’hui, ce sont ces bulletins qu’elle recycle régulièrement : elle vote tantôt De Gaulle, tantôt Duclos, etc. Et chacun connaît bien évidemment l’auteur de la facétie contestataire.

 

Une maladie qui se répand

 

     L’expérience est transmissible via les mots. S’en féliciter. Mais, au moment où l’on la fait, cette expérience, quelle est la part des mots ? Comment écouter G. ou D. ou J. ou Pierre ou Paul sans que les mots de la transmission - les leurs, les miens - soient déjà là ? Or, ces mots, nous en usons de manière archaïque aux dires d’Alfred Korzybski Une carte n‘est pas le territoire (autrement dit Un mot n’est pas ce qu’il représente). Pour Korzybski, nous avons derrière nous des siècles de formulations prélogiques qui se sont imposées comme étant LA vraie manière de voir le monde. Cette maladie s’observe à travers la confusion dans des langues indo-européennes entre les diverses acceptions du verbe ‘être’ :

- comme verbe auxiliaire (c’est fichu)

- comme le ‘est’ d’existence (je suis)

- comme le ‘est’ d’attribution (la rose est rouge)

- comme le ‘est’ d’identité (la rose est une fleur)

Selon lui, dire ‘la rose est rouge‘ est aberrant puisque l’on sait désormais qu’il ne s’agit là que d’une perception humaine ; la réalité est que la rose émet une radiation que nous percevons comme rouge, ce qui est radicalement différent.

Mais c’est surtout le ‘est’ d’identité que combat  Korzybski, le rose de ‘la rose est rouge’.

L’identification apparaît comme quelque chose d’infectieux, car elle est transmise à l’enfant directement ou indirectement par les parents et les enseignants, par le mécanisme et la structure du langage, par les ‘habitudes de pensée’ établies et reçues en héritage, par ce qui règle l’orientation de l’existence, etc. Il existe aussi nombre d’hommes et de femmes qui font délibérément profession de répandre la maladie.

Comment en sortir ? Par une formation à la non-identité.

La formation à la non-identité exerce un effet thérapeutique chez les adultes(…) Avec les enfants, la formation à la non-identité est extrêmement simple.

J’ignore si le fil de cette réflexion, qui date de la première moitié du XXème siècle, est aujourd’hui interrompu, ou si j’ai quelque chances de me soumettre un jour à une telle formation.

 

Manger des ondes

 

     Je me suis également intéressé, un temps, à la démarche d’un autre oublié, me semble-t-il : André Simoneton. Son sujet : les radiations des aliments et leurs - bons - effets sur la santé. J’eus voulu provoquer, sur ce sujet, des rencontres entre scientifiques labellisés et chercheurs indépendants de ce type. Ma première idée : suggérer ce genre de tâche à la succursale française du ‘zététisme’. J’ai déchanté en lisant un livre écrit par son responsable en collaboration avec un prix Nobel, encensé à sa parution, et qui m’a semblé diablement anti-scientifique : Tous savants, tous sorciers.

 

Liberté

 

     Ainsi donc, nous obéirions avant tout à la langue que nous parlons. Ou plutôt, elle parlerait pour nous quand nous ouvrons la bouche ou agrippons notre clavier.

     J’ai passé une bonne partie de la nuit à tenter d’évaluer quel est notre degré de liberté par rapport à elle. à cette heure, je n’ai pas l’embryon d’une réponse, mais il me plaît de coucher ici quelques-unes de mes réflexions nocturnes.

 

     J’ai pris pour point de départ le mensonge caractérisé. Exemple éminent : ‘Je serai le président du pouvoir d’achat.’ Primo, promettre ainsi au futur n’est pas sérieux, puisque le locuteur n’a aucune prise là-dessus au moment où il s’exprime. Secundo, le mensonge effectif se constate aujourd’hui.

     Mais mais mais, cette phrase est vraie ! Oui oui, parce qu’elle exprime la vérité du jeu dans lequel se situait le personnage au moment où il l’a prononcée. Cette vérité est un peu spéciale, j’en conviens, mais elle est là, si communément admise ! L’allumeuse dont j’ai parlé, elle, savait pertinemment au moment où elle demandait aux électeurs de voter pour elle qu’elle les enverrait balader sitôt élue par eux. Est-ce mille fois pire ? Ou juste égal ?

     Après tout, le ‘président du pouvoir d’achat’, lui, eût pu voir réussir son pari. Mais, même en ce cas, la preuve est largement faite qu’il n’y eût été pour rien, ce genre de question se traitant bien au-dessus de son niveau. Il ne pouvait donc être que le président ki, le président ke, le président ki ki ki hi ! que l’on atten-han ! …qui a donc agité quelque antienne en conséquence, et qui eut le succès que l'on sait.

     Je m’éloigne, certes, de la question de l’obéissance mais j’explique par quels chemins cahoteux je suis passé cette nuit.

 

     Retour à la langue, qui nous mène par le bout du nez.

     Je ne vois pas comment l’exhortation de Korzybski peut agir valablement si elle se limite à l’échelle individuelle. La langue grecque - soi-disant la mieux adaptée pour philosopher - s’est instillée en Occident, et ses catégories itou. Changer signifierait bouleverser. Or tout bouleverser signifierait principalement changer l’autorité, changer les chefs (non pas changer de chefs !). Et ma conviction est que bouleverser est hors de portée.

     Korzybski redit son admiration pour Aristote

surtout si l’on considère l’époque où il a vécu. Néanmoins, l’altération de son système et la rigidité qu’a imposée ce système, tel qu’il a été appliqué de force pendant presque deux mille ans par les groupes au pouvoir, souvent sous des menaces de torture et de mort, ont conduit et ne peuvent que conduire à davantage de désastres.

(  manque  )

     En attendant qu’on en sorte collectivement – et la solution ne saute pas aux yeux ! -, il nous resterait, avant d’entreprendre une conversation, à nous mettre d’accord avec notre interlocuteur à propos du ‘système d’exploitation’ que nous allons adopter : le A ou le B !

     Question : en quoi un autre système d'exploitation nous libérerait-il davantage ?

     Eh bien, peut-être qu’un détour par le monde dit  ‘émergent’ va nous en apprendre, car il est des civilisations qui n’ont pas à se défaire du verbe  ‘être’ et de tout ce qui va avec. C’est le cas des Chinois, me suis-je laissé dire.

     Je ne sais plus si c’est François Jullien ou un autre auteur écrivant sur la Chine qui me donna l’idée d’interroger l’un de mes petits-fils, peu après son anniversaire en ces termes : quel effet ça t’a fait d’ainsi changer d’âge ? Il me répondit que, ma foi, il ne s’était rien passé de manifeste pour lui à cette occasion : tout à fait dans la conception du temps selon les Chinois, paraît-il, puisque les choses - toutes les choses - changent insensiblement, ce qui fait qu’elle ne peuvent tout bonnement pas ‘être’ ceci ou  ‘être’ cela, l’essor étant en germe dans le déclin comme le déclin est déjà présent dans l’essor.  à peine du sens s’esquisse-t-il qu’il est déjà modifié : haro sur le principe de non-contradiction des Grecs !

     Faut-il donc que nous nous sinisions - mais la Chine qui nous nargue en ce moment est-elle ‘chinoise’ ? - pour avoir quelque chance de nous rapprocher de ce que pourrait être une conception du monde intégrant les connaissances scientifiques contemporaines, postérieures à la bande des trois : Aristote, Euclide, Newton ? Nous serions alors en meilleure position pour révisionner la notion de causalité, notre obsession de la clarté dans tout énoncé, de la non-contradiction interne (l’indétermination si honnie), et même nos conceptions de la vie et de la mort.

     Mais il se trouve bien d’autres civilisations non européennes - y compris celles que nous regardons plus ou moins charitablement de haut - pour nous éduquer à ces égards.

     à moins que notre cas soit désespéré ? ça se pourrait bien, en effet ! Et c’est là une raison de plus qui me faisait penser hier soir que chambouler est hors de question. Non que le chamboulement ne soit pas en vue - le Mur de l’Ouest, minant ses propres fondations peinera à se perpétuer au-delà du XXIème siècle, imaginé-je -, mais nous n’y serons pas pour grand-chose qui prétendrions préparer cet événement, simple mouches du coche.

     Ceci dit, oui, bien sûr, chaque fois que notre dignité est bafouée, que notre désobéissance s’impose, nous serions inconséquents et lâches de rester sur les rails !

 

     Ensuite de quoi, je me suis endormi.

     Au réveil, aucune fulgurance digne d’être notée, hélas. 

 

Tabac

 

            Ces jours-ci, chantier collectif. A la fin des déjeuners, je vois fumer une cigarette des personnes que je ne vois d’ordinaire jamais fumer. Il m’était sorti de l’entendement qu’il puisse exister des gens fumant une cigarette par jour ! Or en voici trois d’un coup !

 

Laverie

 

            A la laverie publique où se lave mon linge, je découvre un dispositif pour laver aussi son chien. Et puis un fil à linge, semblant venu d’une autre planète, voisinant avec le séchoir à tambour, grand avaleur de pièces de monnaie, lui ; l’usage du fil : afficher les culottes et chaussettes oubliées par les clients.

 

Commodités

 

            Un soir, je viens de rentrer ‘chez moi’, autrement dit dans ma Renault 19 garée depuis plusieurs semaines le long du même trottoir, quand on frappe au carreau. C’est une personne de l’immeuble voisin, venue m’apporter une pomme cuite au four : ‘J’ai pensé que vous êtes peut-être en difficulté’. Seule fois, en six ans de cette vie de touriste, que j’ai su que je ne passais pas tout à fait inaperçu.

            C’est à la même adresse que je reçus un jour une lettre, déposée par la factrice - sous cellophane - sur le pare-brise.

            Merci aux deux !

 

            Les villes et villages manquent vraiment de douches publiques.

 

            Je me souviens de la première fois où, adolescent, pour aller aux toilettes, il me fallut rentrer dans la maison. Jusqu’alors, et de mémoires d’ancêtres, on avait toujours fait ça dans la nature. Pas commode d’admettre ce progrès : aller ‘faire ça dans la maison’ !

 

Une fête hors d’âge

 

            L’été dernier, une petite fête, en mémoire d’un homme de littérature tout à fait reconnu mais de faible célébrité. Le village se trouve au bout du monde. Et, du monde, il n’en est pas venu beaucoup. Renseignement pris, il c’est ainsi chaque année : l’auteur se fête en petit comité. Ce qui fait que le visiteur peut nouer la conversation avec tous les autres !

            La départementale qui traverse la petite agglomération de vingt maisons ne connaît ordinairement pas de grand trafic, et ce jour-là, c’est sur son asphalte que nous dansons.

 

Plus on est raté, plus on écrit ?

 

            Un tout autre écrivain, haut-fonctionnaire et tout aussi haut-pourfendeur : ‘Pour écrire, il ne faut pas vivre. Quand on écrit des livres, c’est qu’on est un raté. Moins on est raté, moins on écrit.’ Ce Xavier Patier est auteur d’une collection de livres à lui seul, et affirme ne plus tout assumer de ce qu’il a écrit. Est-ce exagéré de lui demander d’en publier un nouveau, sur son auto-dissonance précisément, à destination de ‘ses’ lecteurs ?

 

Compter

 

            Le pouvoir fournit-il un ‘jouir d’être’ qu’il n’est ainsi pas besoin de construire par soi-même ?

            Un PDG, que j’ai croisé un temps, déprimait paraît-il dès lors que son téléphone n’avait pas sonné depuis cinq minutes, week-ends compris. Aisé, pour les flatteurs de l’entretenir dans son rêve de ‘compter’ pour eux ! Je me souviens de son excitation de gamin, le jour où il venait de serre la pince à Bill Gates. Désormais, il était certain de ‘compter’ mille fois plus !

 

            L’ordonnateur qui veut être obéi croit être à l’origine de son ordre. Il est un  ‘moi’, et peut-être même un ‘moi-je’. Or n’est-il pas à 99,9 % le produit d’un moule ? voire de plusieurs…

 

            Autre cas de figure : l’ordonnateur n’est pas lui-même convaincu de l’interdiction qu’il pose. Son non n’est pas un vrai non. Bien évidemment, c’est troublant.

 

            (Tout de même, mon insistance sur les phénomènes uniquement vus du point de vue d'un acteur individuel, c’est loin d’épuiser le sujet, non ? Y aurait pas un sociologue dans l'avion ?)

 

Du vent !

 

            S. a déjà consacré pas mal de son temps aux éoliennes personnelles, à leur fabrication, à la diffusion de savoirs-faires à ce sujet, à la capitalisation des expériences y compris des échecs !

- En général, on camoufle les échecs, non ?

- Je trouve ça regrettable !

- Toi, tu fais l’inverse : dans ton atelier sont en bonne place les restes des éoliennes qui ont cassé.

- Je les expose, et j’en rends compte aussi dans le réseau auquel j’appartiens. Nous nous sommes constitués dans la foulée de l’expérience d’un constructeur autodidacte écossais, et nous partageons nos expériences, nos mises au point, nos découvertes. C’est un peu à l’image du réseau d’informaticiens élaborant Linux en réseau.

- Vous êtes tous autodidactes ?

- Oui, plus ou moins. Mais des professionnels nous donnent un coup de main. Par exemple, près d’ici, j’ai la chance de pouvoir compter sur un ingénieur en retraite. Avec lui, nous avons des échanges qui ne trouveraient pas leur place si nous travaillions dans la même boîte : ce fonctionnement en réseau de volontaires crée des manières de faire et des relations tout à fait inédites.

- La question de l’énergie t’intéresse particulièrement.

- Elle est posée d’une manière invraisemblable, c’est comme une grande machine dont les organes sont dissociés  : on prend de l’uranium ici, on produit ailleurs, et ça produit des déchets dont on fait une question à part. Il faut expérimenter d’autres manières de faire !

- Avec des éoliennes, l’artiste de spectacle que tu es aussi veut intervenir dans le débat ?

- Oui, j’élabore un projet : aller, avec un chapiteau dont chaque mât portera une éolienne, présenter un spectacle dans des lieux où il y a conflit au sujet d’implantation de parcs éoliens, et laisser sur place une trace de mon passage.

- Par exemple ?

- Par exemple une sculpture comme la ‘machine à remonter le vent’ que tu vois ici.

S. me désigne une éolienne munie d’un siège - sans doute pour le voyage - qui produit plus de ‘vent’ qu’il n’y en a alentour.

 

Terrorismes

 

            L’on connaît Godin le pacifique entarteur. Oubliera-t-on Mountazer al-Zaïdi, le pacifique envoyeur de chaussures à la figure de G. Bush ? Plus facile de déjouer les contrôles, chaussures aux pieds, que tarte à la crème à la main, non ? Et comme chacun de nous a fréquemment des chaussures aux pieds…

 

            Que nous partagions ou non le goût pour la méthode forte de Theodor Kaczynski alias Unabomber, le mathématicien états-unien expéditeur de colis piégés, sa fable La nef des fous mérite que l’on s’y attarde.

 

Le plus sûr piège

 

            Je suis frappé par l’extrême sollicitude du gouvernement français pour ceux qui ont du mal à se payer un logement à eux ! S’accumulent à leur intention le plan épargne logement, l’aide personnelle au logement, le prêt à taux zéro, le 'pass foncier' et le crédit d’impôt sur les intérêts immobiliers. Avant l’austérité, il était même question du versement d’une somme forfaitaire, comme lors de la naissance d’un enfant.

            Le rêve de posséder un logement n’est-il pas le plus sûr piège pour devoir demeurer au travail vingt-cinq ans ou plus ? Au Japon, s’endetter sur deux générations n’est, paraît-il, pas rare.

            Rien que la viabilisation d’un terrain à bâtir ne descend jamais, me suis-je laissé dire, en-dessous de vingt-deux mille euros. Reste ensuite à financer la maison proprement dite. Et si l’on choisit l’habitat passif, l’embrigadement est encore renforcé…

            Avoir le choix entre alimenter à ce point les rentiers du foncier et le business du bâtiment - cas où l’on accède à la propriété - et alimenter à ce point les rentiers de l’immobilier - cas où l’on choisit de louer à vie - ça ne devrait pas durer !

 

Habitat groupé

 

            U. a repéré un village municipal de gîtes de vacances en mal de fréquentation. Il effectue en ce moment des démarches auprès de la mairie du lieu pour louer à un tarif de gros une dizaine de ces gîtes. Son objectif : y organiser des séjours pour des gens cherchant à améliorer leur capacité à habiter dans un contexte de vie collective.

- L’on voit naître aujourd’hui de multiples projets d’habitats groupés, supposés générer une vie un peu moins stupide que ‘chacun chez soi’. Or la vie avec les autres, nous n’y sommes pas du tout préparés !

- Vous proposerez donc à des volontaires de s’y préparer ?

- Oui, à les entraîner. Et sur deux plans. D’abord, les participants pourront expérimenter des processus de décisions en commun, ce qui est aussi difficile qu’incontournable en pareil cas ! Exemple : quelles activités pour les enfants, demain ? D’autre part, puisque les gîtes d’été constituent un habitat par nature sommaire, une partie du ‘stage’ sera consacrée à élaborer des projets d’amélioration du bâti et des équipements divers présents sur place : que faire de la pataugeoire désormais interdite puisque plus aux normes ? En quoi consisterait le séchoir à linge, et où serait-il implanté ? Dans les projets d’habitat groupé, on doit au départ phosphorer sur des idées en l’air, des situations imaginées, des plans un peu abstraits voire incompréhensible pour certains. Ici, on sera dans le concret.

 

J'ai confiance en l'injustice de mon pays

 

            Peu après le scandale judiciaire d’Outreau, X. avait concocté une tournée de conférences-débats intitulés ’Treize questions à la justice de mon pays’, qu’il souhaitait présenter en diverses villes. J’ignore ce qu’est devenu ce projet. Il s’inspirait en grande partie, m’avait-il dit, d'un livre non réédité de Casamayor, et voulait mettre en œuvre la formule de Confucius " Je ne cherche pas à connaître les réponses, je cherche à comprendre les questions."

 

Journée des fous

 

            C. me raconte qu’il a, une fois et c’était il y a bien bien longtemps, loué une robe et un attirail de prêtre pour faire du stop : il espérait augmenter de la sorte ses chances d’être pris à bord. Le compliqué, ce fut, me dit-il, quand, embarqué par un trio de bonnes sœurs, il lui fallut être à la hauteur !

            Il prétend - je ne crois qu’un mot sur deux de ce qu‘il raconte - que, quarante ans plus tard, il se prépare à renouveler l’exercice, mais en robe d’évêque cette fois.

            J’aimerais qu’instaurer deux ou trois ‘journées des fous’ par an soit au programme de l’un des candidats qui nous demandera un de ces jours de voter pour lui.

 

La stratégie du fagot

 

J., qui fut longtemps militant d‘un parti révolutionnaire :

- Il nous est demandé de plier chaque jour un peu plus l’échine. Comme les autres, j'ai pris le pli de regretter le terrain que nous perdons petit à petit. À ce jeu, j'ai perdu l'ambition de réaliser ce dont nous sommes capables. C’est scandaleux, quand j’y pense, d’avoir à faire ce constat !

- Comment fonctionne ce conditionnement, selon toi ?

- Nous sommes sous une dictature, celle du prétendu réel. Mais ce réel n’est pas réellement réel : c’est artificiellement que nous en sommes gavés. L’opium du peuple est aujourd’hui archi-diffus, et archi-efficace. Nous habitons une dictature soft.

- Et tu connais une voie de sortie ?

- Il n’y a, je crois, que la stratégie du fagot.

- ???

- Si tu veux, à la main, briser un fagot par le milieu, pas d’autre moyen d’y parvenir que de procéder en le divisant en toutes petites unités.

- Oui, mais concrètement ?

- Concrètement, eh bien, c’est un travail de fourmis !

- Mais encore ?

- à ce stade, je suis un peu sec… Je dois continuer à me désillusionner. J’ai trop longtemps vécu dans l’illusion que prendre ‘le’ pouvoir était la solution. Pour ma part, je dois d’abord cesser de me ranger derrière un drapeau qui n’a, au fond, jamais été le mien.

 

Impossibles

 

            J’étais invité à un double cours : hébreu d’abord, arabe ensuite. Dans cette organisation, quelle que soit celle des deux langues qui t’intéresse en priorité, tu dois progresser en parallèle dans les deux. J’y ai vu un prof d’hébreu assistant à un cours d’arabe.

 

            B. est fraîche émoulue d’une école de livres, bibliothèques, librairies, etc. Elle prend son premier emploi dans une librairie ‘jeunesse’. Là, elle suggère de créer un club de lecteurs ‘ados’. Tout le monde l’en dissuade : ‘Te fais pas d’illusion, B., les ados ça ne marchera pas !’ B. persiste. Elle met le projet à exécution. ça marche. Même que les ados en question en redemandent…

 

            Une manière de gérer la rareté. Les possibilités pour les collectivités d’accorder des subventions se faisant de plus en plus limitées, et plutôt que d’en réduire le montant, un municipe a décidé de procéder comme suit : les associations déposent un dossier, tous les dossiers sont étudiés, ceux qui ne remplissent pas les conditions sont écartés, et les autres sont soumis à tirage au sort effectué en public. Manière pour la municipalité de se dédouaner ? En tout cas, clarté, car les raisons pour lesquelles certains dossiers se sont vus écarter sont également exposés publiquement.

 

            L. et plusieurs de ses amis s’étaient demandé comment transposer une situation - un projet d’enfouissement de déchets nucléaires ultimes - en une production artistique. Après avoir longtemps réfléchi à réaliser un film pour alimenter la réflexion, ils se sont frottés aux exigences du roman-photo, qu’aucun d’entre eux ne maîtrisait pourtant. Ils en sont à préparer le ‘tournage’, et notamment à recruter localement les personnes qui tiendront grands et petits rôles. Chacune de leurs sessions de travail commence comme ceci : ils/elles se tiennent une minute par les épaules ou la taille, en formant un cercle. Je trouve ça pas con.

 

Le commandement collectif et tournant, une piste ?

 

            Les monarchismes, réels ou camouflés, me débecqtent ! Les formes de commandement tournant ont mes faveurs, parce qu’elles permettent au commandeur de quitter la posture vicieuse et viciante. Le commandement collectif aussi, me semble avoir des avantages.          

 

Jusqu'au trognon

 

            Aux agriculteurs, il est dit aujourd’hui : assurez-vous, vous-mêmes, contre les risques propres à votre profession ! En d’autres termes : faites marcher le business ‘assurances’ des banques qui vous pillent déjà, et depuis si longtemps…

 

Question de ton

 

            Je regrette certains aspects du film  ‘Solutions locales pour un désordre global’, qui font qu’il pourrait ne convaincre que des convaincus.

            Au-delà de ‘rencontrer ses propres certitudes dans le discours des autres’ comme l’exprime un personnage de Loïca de Dorothée Letessier (assurément l’un des rares romans ouvriers de la littérature française écrits par une ouvrière sans doute féministe) que peut bien se dire, au sortir de la séance, un spectateur non-agriculteur qui se sera laissé convaincre ?

 

Tolérances agronomiques

 

            Un agronome a découvert à Madagascar le moyen d’augmenter très considérablement la productivité rizicole sans accroître la valeur des intrants nécessaires. Un sale coup porté à la ‘révolution verte’ ! Qu’attendent donc les gardiens de l’ordre pour intervenir ?

            Devant l’un des sites de Monsanto en France où se tient un meeting de protestation, un producteur français de maïs montre un épi qu’il a obtenu en élaborant lui-même ses semences : selon lui, en procédant de la sorte, il garde 25 % de son revenu brut de plus que s’il devait acheter ses semences. Or les semenciers ont tant de pouvoir que ce producteur constitue une rareté.

            Deux contributions à la ‘stratégie du fagot’ de J. ?

 

Horloge

 

            Je vois autour de moi combien, même sans être ‘au travail’, des mères de famille - ou leur équivalent masculin - sont soumises à des rythmes entêtants en période scolaire. Difficile d’aménager du temps vraiment à soi ! La scansion non naturelle et impérative du temps fut inventée, paraît-il, par les moines de notre moyen-âge. Ils n’avaient pas d’enfants, eux...

            Que dire quand il s’agit de personnes qui ‘travaillent’ !

            Et lorsqu’arrivent les ’vacances’, les choses se compliquent encore…

 

Des chercheurs qui cherchent ...de l'argent

 

            M., chercheuse, m’explique que 80 % de son temps à ‘chercher’ de l’argent. De plus en plus, me dit-elle, les labos ne peuvent rien faire sans financements extérieurs. Moi qui croyais qu’existait encore une ‘recherche publique’ !

 

Tour du monde

 

            En avion, dans l’hémisphère Sud, il y a bien longtemps. Je suis l’un des rares passagers à ne pas appartenir au groupe de touristes qui emplit l’espace de ses bruyantes conversations. Nous survolons une magnifique embouchure de fleuve or, depuis le départ, la plupart des bavards n’ont pas pris le temps de zyeuter une seule fois à travers le hublot. Sans doute est-ce secondaire ? Par contre les récits abondent sur les autres pays qu’ils ont ’faits’ précédemment, surenchère après surenchère.

            Ainsi se ‘ferait’ le monde ?

 

Difficile de se faire entendre

 

            Dans une discussion à plusieurs, j’ai toujours eu du mal à trouver ma place, peut-être à cause de ma manière de m’exprimer. C’est peut-être bien en guise de compensation - aussi - que j’ai entrepris d’écrire…

 

Des leçons d'inconnaissance

 

            On a voulu me faire enregistrer l’Histoire comme on me l’eût fait du Coran. Non qu’on ne m’ait rien expliqué, bien au contraire ! J’ai retrouvé une de mes ‘copies’ rédigée quand j’avais environ quinze ans. Bon dieu ! si j’avais compris le tiers du quart de ce que j’écrivais là-dessus, c’eût été formidable. Mais je n’ai certainement fait, à l’époque, que régurgiter ce qui pouvait plaire au prof - un prof intelligent, au demeurant, si j'en juge par mon régurgitat - en vue d’obtenir une bonne note. Pour apprendre le Coran, aussi, faut de la mémoire, non ?

            Depuis lors, j’ai appris à comprendre - un peu - le monde à partir d’un événement ou d’une situation qui m’intéresse vraiment. Pas à partir d’un ‘sujet au programme’. Me saisissant d’un bout du fil, je tente de dévider la pelote. Mais l'Histoire de l'enseignement de l'Histoire ne nous apprend-elle pas, au fond, que son but était le même que celui de l'enseignement du Coran là où c'est le cas : établir solidement les fondations du vivre-ainsi ?

 

            Mais ce 'dévider la pelote' est – à l'usage - bien plus facile à dire qu'à faire, car sommes-nous autre chose que des hannetons se demandant si les avions effectuent vraiment des vols et des vols et des vols comme le bruit en court, alors qu'ils sont purement et simplement démunis d'élytres ? Encore et toujours ce putain d'archaïsme hanneto-centré... Elisa Brune, avec son Le quark, le neurone et le psychanalyste, joue au medium pour nous frotter à l'hypothèse que 'l'Univers s'auto-engendre, le cerveau s'auto-organise, la pensée s'auto-définit et la foi (en Dieu et peut-être en toute chose) s'auto-suggestionne'. Habiterions-nous donc en pleine marmelade ?  Et notre medium d'enfoncer le clou : 'Nous savons que nos conceptions les plus chères sont erronées, mais nous sommes incapables d'y renoncer. Nous colmatons avec du papier les fuites d'un radeau en carton.' Allez donc vous dépatouiller avec ça !

            À quand les leçons d'inconnaissance ? Dès la maternelle, comme de juste...

 

Un lecteur au cœur

 

            Au passage, Brune me fait découvrir 'la belle phrase de Giono' : 'Je décris le monde tel qu'il est quand je m'y ajoute.' C'est l'objet même de mes tâtonnements de découvreur. Jamais encore je ne m'étais permis un tel assaisonnement : tout à la fois archi-présomptueux et plus-raisonnable-tu-meurs...       

            Mais pourquoi chercher à tirer à blanc avec ça sur au moins un lecteur (j'en escompte au moins deux !) ? Eh bien, pour qu'à 'ces prémices les lecteurs (mêlent) leur propre substance' - comme l'énoncent en chœur Michel Tournier, Le vol du vampire, et tant d'autres - au point que, si possible, les lecteurs de tous poils en deviennent les réels auteurs, de tous poils itou. Or voici mon problème : comment optimiser ce processus ? Tournier énonce un début de réponse :

Il doit se produire deux phénomènes. D'abord un processus d'identification entre le lecteur et les personnages. Tous les sentiments incarnés dans tous les personnages – peur, envie, désir, amour, ambition, etc. - doivent être doués de contagiosité et se retrouver dans le cœur du lecteur. Mais selon un second processus, il faut que ces sentiments soient exaltés, rehaussés, ennoblis en passant du personnage fictif au lecteur, homme ou femme réel.

            Ce cachottier de Tournier ne nous dit hélas pas comment faire ! Je pense quant à moi que le mieux est de ne pondre qu'une esquisse. Oui mais, oui mais, oui mais : tracée comment ?

            Si quelqu'un a un embryon de réponse, je suis tout ouïe. L'attendant, je poursuivrai, solitaire, mes bêtâ-tonnements...

 

Ne pas céder sur son désir

 

            Si j'énonce crûment : 'Non seulement ce monde est enchanté, mais il est de surcroît enchantable', je passerai pour un idéologue.

            Si je réquisitionne l'expérience de J-M, m'abstenant de formuler cet énoncé, j'obtiendrai ce me semble plus de chances de transmettre ma conviction.

            Quoi J-M ? Eh bien, en y mettant des années, il a conçu et construit l'embarcation qui lui permet de passer désormais tout son temps sur l'eau. On le trouve aujourd'hui probablement quelque part sur la Loire,  devenu le seul humain la chevauchant nuit et jour et par tous les temps, se mouvant ou non de quelques mètres par jour. 'Sa' Loire l'enchante certes mais, à mes yeux, c'est surtout lui qui l'enchante. Le nom de son bateau : Le chant des roseaux.

            Quand, jeune adulte, je lisais la critique marxiste de la notion de 'besoin', je m'interrogeais lourdement : tout de même, refuser ainsi de juger d'une société en fonction de sa capacité à satisfaire les besoins de ses membres !?? J'ai, depuis, compris que le BEM constitue le Vatican – prétendument éclairé et infaillible - de l'approche par le besoin, nous conduisant à travers l'obscurité jusqu'à ce que nous nous retournions complaisamment nous-mêmes comme un gant.

            M'interroge le mot 'envie'. N'est-ce pas le ressort le plus aisément excitable de notre configuration individuelle ? Et serait-ce pour cette raison – facilité – que le feu de la consommation d'idoles parvient à s'entretenir sans qu'affleure jamais la perspective qu'il se couche à l'horizon ?

            Gaston Bachelard – Psychanalyse du feu : 'L'homme est une création du désir, non pas une création du besoin.'

            Retour à J-M. : assouvit-il des besoins ? Ou fait-il ce dont il a envie ? Ou montre-t-il tout simplement qu'il refuse de céder sur son désir ?

 

Obéir pour mieux s'affranchir

 

       L'une des expressions de Bachelard a trait à 'ma' question de l'obéissance : la 'désobéissance adroite'. De quoi s'agit-il ? Bachelard  tente de convaincre son lecteur que l'inhibition – tiens tiens, au fait, faudra que je révise 'mon' Laborit ! - de l'enfant devant le feu provient d'abord de l'interdiction générale dont celui-ci est l'objet, et non de l'expérience que peut faire l'enfant de s'y brûler. Le dressage social ainsi effectué conduira l'enfant à vouloir essayer de mettre le feu en cachette. 'Nous proposons (...) de ranger sous le nom de complexe de Prométhée toutes les tendances qui nous poussent à savoir autant que nos pères, plus que nos pères, autant que nos maîtres, plus que nos maîtres.' Avec Bachelard, l'on retrouve d'ailleurs le sexe puisque pour lui, faire du feu et faire l'amour c'est tout un. Pour les deux, c'est « quand tu seras grand/e ».

 

       Un jour de mon  adolescence, une vive discussion s'engagea entre mon père et moi, à propos d'un travail des champs qu'il eût voulu que j'accomplisse à sa façon alors que, selon moi, il valait mieux l'avoir effectué à la mienne.

- Enfin, tout de même ! j'ai l'expérience, allégua mon père.

- L'expérience, rétorquai-je, est la somme des bêtises que l'on a faites, non ?

       Silence radio en face... J'avais ce jour-là transgressé, du moins en paroles - et sans héroïsme aucun, d'ailleurs - l'obligation d'obéir aux contraintes posées jour après jour par ce père extrêmement exigeant. Une extraordinaire pièce de théâtre populaire – avec tout ce que cet adjectif peut avoir pour moi de glorieux - de Per-Jakez Helias porte ce type de conflit au paroxysme : Egile. Je doute qu'aucune scène 'nationale' l'ait jamais représentée.

 

       Comment un maître peut-il vouloir que son élève en sache au moins autant que lui ? Au nom de la charité chrétienne ? A quel autre titre ? C'est ce point qu'il faudrait élucider, si l'on veut une Université, un lycée, un collège, une école qui tiennent la route, autrement dit qui transmette du sens et non seulement des signes, quand ce ne sont pas des signes purement extérieurs. Car, pour l'heure - gros comme un défilé de chars d'assaut - ça marche à l'envers ! Et l''on' voudrait voir surgir en interne, sans rien changer, des solutions magiques... Préhistoire de l'éducation.

       Dans un tout autre contexte que le nôtre - l'Afrique d'en amont de la science, de la démocratie et du marché - l'élève n'a pas à tenter de voler le feu du ciel : il sera non pas enseigné, mais initié.

       Élève passif, donc ? Que nenni ! répond Tobie Nathan – L'Autre journal- Octobre 1992 :

Quand un enfant pose une question aux adultes, soit ils ne répondent pas, soit ils répondent par des phrases incompréhensibles, de manière à obliger l'enfant à interpréter, à se mettre en marche.'

       Prof passif ? Non plus :

'Vous êtes obligé de vous mettre à l'école de celui que vous allez rencontrer. S'il vous pensez qu'il est comme vous, que tout le monde doit être comme tout le monde, il n'y a plus de distinction fonctionnelle, et l'on ne peut paradoxalement plus rien transmettre.'

       Le numéro de l'Autre journal que l'on me met sous les yeux entend, lui, rendre hommage à 'tous ceux qui acceptent de ne pas façonner l'autre à leur image'. Oui mais, moi, je ne sais pas poursuivre.

 

Libres jusqu'au caprice

 

       C'est Emmanuel Berg – que je découvre si tard – qui y est pris comme emblème : 'sa passion pour Fénelon lui apprit à se méfier plus de soi que des autres'. En 1927, Berg écrit avec Drieu La Rochelle :

'Il n'y a plus de presse libre. Il n'y a pas de journal, de revue où nous puissions exprimer notre pensée libre jusqu'au caprice individuel, jusqu'à la nuance originale. C'est qu'il n'y a plus d'individus, il n'y a plus que des groupes qui font imprimer par leurs employés, tous les matins ou tous les mois leur volonté systématique'.

 

Dévoiler

 

       Z. envisage un Manuel de Civilisation Française à l'usage des étudiants étrangers qui ont à apprendre un peu de ce qu'est la France en sus de la langue française. 

- Un anti-manuel comme Duneton ou Onfray l'ont fait, chacun dans leur domaine ?

- Peut-être, on verra bien. Mais ce qui est important, c'est que ce qui vit – du verbe vivre - dans ce pays puisse y trouver place : des situations, des gens, des initiatives, des analyses que ne pourraient raisonnablement pas découvrir seuls ces étudiants quand bien même ils voyageraient en France, et qui ne se résument pas aux Champs-Élysées, au fromage, à De Gaulle, aux exploits cocorico d'une entreprise ou d’une équipe sportive française au plan international, etc.

- Quoi, par exemple ?

- Eh bien, les exploits du pays tant au Championnat des avaleurs d’anxiolytiques qu’en Coupe de dévoreurs de somnifères. Autre exemple : comment un sans-papier peut être légalement embauché par un patron sous un nom d'emprunt, payant sécurité sociale et retraites dont il ne pourra jamais bénéficier...

- C'est une chose que 99 % des Français ignorent aussi, non ?

- Les immigrés sont plus au courant de certains aspects de la vie en France, c'est sûr !

- Mes 'Découvertes contemporaines' y trouveraient-elles leur place ?

- Il me semble que, là-dedans, vous flirtez beaucoup avec l'anonymat. Au contraire, l'ouvrage que je concocte donnera un maximum de références, de possibilités de pousser l'information plus loin. On a l'impression que pour vous, c'est tout le contraire...

- Vous n'avez certes pas tort. Mon propos est différent du vôtre : mon champ est plus limité, mon but et ma manière de procéder sont également différents ce me semble.

 

Donnant-donnant

 

       J., auteur expérimenté :

Si un jeune écrivain qui a l'intention d'écrire sur les paysans dans un pays lointain venait me demander conseil, je lui dirais 'Va et trouve un village où tu ne te sens pas mal. N'achète pas la terre, n'achète pas de maison. Et puis offre tes services, aussi maladroits qu'ils soient – bénévolement bien sûr – parce qu'ils ont toujours besoin d'un coup de main. Alors, tu auras peut-être une chance de pénétrer un peu à l'intérieur du village.' Je pourrais dire ça maintenant, avec mon expérience. Mais à l'époque, je ne l'ai pas fait par calcul.

Pourquoi l'avez-vous fait ?

Pour deux raisons. La moins importante c'est qu'en participant aux travaux, vous offrez quelque chose à ce lieu que vous avez choisi, vous travaillez très mal, vous cassez les outils, mais vous payez un peu de votre personne. Mais surtout, le rôle que les paysans s'attendent à voir jouer par un étranger citadin est complètement renversé. En proposant votre travail, c'est vous qui vous trouvez dans la position de l'ignorant.

 

Pourquoi, ici, pas de tirets ou de guillemets pour marquer l'alternance au sein du dialogue ?

C'est un clin d'œil à l'auteur, lequel procède ainsi.

Je veux que les voix qui parlent dans l'histoire et celle qui raconte se confondent.

Les références de J., l'« auteur expérimenté » : John Berger – Dans leur travail . Il s'agit d'une trilogie.

 

Fête de l'Huma alternative

 

       K. envisage un genre de Fête de l'Huma uniquement constituée de faits et gens ayant trouvé place, à l'époque, dans l'une ou l'autre des aventures de l'Autre Journal. Je trouve ça salutaire. Dans cinquante ans, d'une part il sera trop tard, d'autre part ça ne pourrait pas avoir la même portée (de petits cochons...).

 

    Ce monde rêvé que nous portons en nous

 

        Oisiveté. Un mot mal famé, non ? Les oisifs vivent au crochet de la société, dit-on. Je rencontre A. qui, lui, défend l'originale expression d''oisiveté productive'.

- Qu'est-ce à dire ?

- Pour brosser un tableau général, il est clair que la population d'un pays est majoritairement composée d'oisifs et d'inactifs, au sens PIB de ce terme. Il y a les capitalistes, les rentiers, les chômeurs, les parents au foyer, les enfants, les vieux, les reconnus-incapables-de-travailler, etc. Et je ne parle pas des travailleurs au noir...

- Mais 'productifs' ?

- Là-dedans, vous noterez que les parents au foyer sont à peu près indispensables !

- Ce sont eux, vos oisifs productifs ? Je les compterais plutôt parmi les réputés inactifs.

- Non, je parle bien d'oisifs. Mais permettez-moi d’avoir commencé par brosser l'environnement. 

- Alors, ces 'oisifs productifs', c'est qui ? Ça m'intrigue !

- J'aimerais, pour commencer, me référer à une histoire, créée par Jean Grave, vers 1904-1905, et intitulée Terre libre (les pionniers) : une utopie d'île déserte, occupée par les survivants d'un naufrage qui s'en vont inventer leur nouveau mode de vie 'par la force des choses, par les besoins de chacun'. Il y a dans ce conte, une catégorie de gens qui ne veulent tout simplement pas travailler. Ces réfractaires vont s'avérer les sauveurs de l'aventure puisque c'est en tant qu'oisifs, au cours d'une partie de chasse – alors que les autres bossent -, qu'ils auront le loisir de découvrir un complot contre les Terrelibériens, permettant ainsi à la totalité du groupe de sauver sa peau, travailleurs et paresseux réunis.

- Je n'ignore pas que, depuis Fourier, des utopies incluent à 100 % l'homme réel, celui qui a des passions, des propensions et des goûts éventuellement aux antipodes de l'idéal d'une société idéale. Mais l'éloge de la paresse en tant que productive ça n'est pas si courant !

- Laissons les utopies. Un exemple : le statut des intermittents du spectacle a été sauvé, lors de la plus récente attaque qu'il ait subi, par des élus qui expliquaient que leur 'politique municipale', qui inclut 'la culture', ne pourrait plus être menée sans ce statut qui permet l'entretien d'oisifs à temps partiel.

- C'est particulier, et très limité ! Or, vous semblez promouvoir l'idée d'une société majoritairement composée d'oisifs productifs. Vos réponses  me laissent un goût de trop peu !

- Puisque vous insistez, je déballe tout ! Je suis, depuis longtemps, un apôtre du vagabondage mental. Savez-vous que nous passons à peu près un tiers de notre temps de veille à nous y laisser aller ? Les anglo-saxons appellent ça daydreaming. Eh bien, nous devons donner toute sa place à cette activité ! Ne croyez surtout pas que je sois l’ennemi de la méditation, pour moi les deux pratiques gagnent à être entretenues ! Mais la gamberge a si peu de défenseurs ! Ce ne serait que temps perdu, etc. Or pas du tout ! Et chacun s’y prend à sa façon ! Savez-vous qu’Einstein - je sais, je sais, on prend souvent argument de ses propos décoiffants mais, justement, il y a quelque raison à ça ! -  eh bien si Einstein a tant vanté les mérites de la rêverie, c’est qu’elle s’est montrée magnifiquement productive dans son cas. Et j’en viens à ma conviction. Loin de n’être qu’un impératif individuel, c’est le corps social tout entier qui devrait se laisser féconder par cette pratique. Le temps consacré au travail n’a cessé de décroître, certes, mais malheureusement pas au profit de cette noble activité. Or il est patent que le modèle d’activité cérébrale impérialiste que nous avons appris à privilégier nous a conduits à la catastrophe.

- Avouez qu’il y a une difficulté à admettre a priori votre expression ‘oisiveté productive’ !

- J’en ai bien conscience ! Pourtant, ce n’est pas la seule des ‘petites’ révolutions qui s’imposent. Les modes actuelles promouvant l’écologie, l’équitable, etc. me semblent largement sous-dimensionnées. C’est clair que notre humanité exige qu’advienne un autre rapport entre individualités. Eh bien, condition, à mon avis : commencer par un autre rapport entre neurones. Autrement dit : nous devons inventer un autre rapport, non seulement au monde, mais à nous-mêmes. Or, je crois désespéré le cas de ceux qui travaillent dans des conditions ordinaires. Et parmi ceux qui travaillent, je compte bien sûr tous ceux qui passent leurs journées sur les bancs d‘une école.. Mais, comme j’ai tenté de vous le faire saisir tout à l’heure, il en reste tant d’autres, ceux que vous avez aimé appeler les inactifs.

- ça impliquerait quoi, par exemple ? Supprimer la télé ?

- Peut-être. ça impliquerait une révolution de ce genre, oui ! En attendant, chacun - les inactifs, surtout - peut s’entraîner à rêvasser activement. Le moment le plus adapté, en ce qui me concerne, est le matin quand je n’ai pas dépassé le stade du demi-réveil. J’ai aussi constaté qu’en écrivant mes rêvasseries, je suis plus productif qu’en me contentant de les accueillir en visiteurs indésirables et évanescents.

- J’ai quelque peine à comprendre le bien-fondé de cette attitude.

-           Comment voulez-vous, sinon, qu’advienne ce ‘monde rêvé’ que nous portons tous en nous, ne serait-ce que sous forme de nostalgie ?

 

        Ce mercredi matin de beau soleil, alors que je m’en vais aux croissants, je croise un actuel-inactif ex-travailleur : un retraité bêchant son jardin. Nous conversons un peu. Je comprends que sa journée va se dérouler comme suit : jardin tant que la chaleur n'est pas excessive, puis lecture du journal. Cet après-midi, il recevra la visite de quelques-uns de ses petits-enfants.

        Voilà donc quelqu'un qui va, tout à l'heure, avaler tout un tas de mauvaises nouvelles, locales, nationales et internationales, mais qui pourra amplement s’en consoler : n'est-il pas producteur d'un havre de paix sur lequel il a complètement barre – son jardin – ? et d'une belle progéniture qui vient l'aimer ? N'est-il pas, de surcroît, alimenté par une inactive qui s'active pour lui à la cuisine ? De plus, en bas de son jardin, coule la Seine, calme, et d'ailleurs limpide à ce stade de son cours.

        Où est-on mieux que dans son cocon ? Surtout dans la mesure où on le confronte, ce cocon, avec ce diablement rude monde qui nous entoure...

        Gamberge-t-il ?

        J’ai peine à imaginer comment il eût réagi si je lui avais posé la question…

 

Publier

 

        E. écrit un peu. Par périodes. Des textes courts. Qu’il souhaite porter à la connaissance d’autres personnes.

- D’autres personnes, mais pas d’un ‘public’.

- Que voulez-vous dire ?

- Comme beaucoup, je veux absolument trouver une solution pour diffuser autrement que sous forme de livre. Celle à laquelle je pense en ce moment consiste à publier ‘à l’unité’.

- Via ce ces imprimantes professionnelles qui, à partir d’un fichier Word, vous sortent dix exemplaires d’un livre tout fini ?

- Non ! Ce n’est pas du tout dans cette direction que je me dirigerai. Je compte acquérir une presse à main qui, à partir de compositions typographiques, me permettra d’imprimer deux pages au recto, et deux pages au verso. Quatre pages suffisent pour publier par fragments ce que je suis en train d’écrire.

- Pourquoi pas un blog, pour publier au fur et à mesure où vous écrivez ?

- Pourquoi, je ne sais pas. Je ne peux pas vous dire pourquoi. Peut-être parce que j’estime que ce que j’écris mérite mieux ! (Rires) Plus sérieusement, mon idée est de donner à quelqu’un de particulier un exemplaire particulier. Au besoin numéroté, d’ailleurs.

- Vous dites ’donner’ : ce sera gratuit ?

- Non, non, ce sera payant. Mais ce qu’il s’agira de payer, ce ne sera pas mon écrit. Je veux d’abord et avant tout que l’édition proprement dite ne me coûte pas. Il s’agira donc de rentrer dans mes frais : l’achat de la presse, des caractères typo, du papier un peu spécial, mon déplacement vers le lieu de vente, et tout ce qui s’ensuit. Peut-être même faire une marge là-dessus, pourquoi pas, mais ce ne sera pas pour tout de suite !

- Votre écrit, lui, n’a pas de prix ?

- C’est tout à fait ça ! (Rires) Ce que j’écris est hors de prix !

- Et où vendrez-vous ça ?

- Je donnerai quatre pages par ci quatre pages par là, au gré des circonstances. Sorties de métro, marchés, etc.

- C’est un marché parallèle, ça, non ?

- Le marché du livre est entre les mains de nos ennemis. Je suis tout bonnement déserteur.

- Je ne comprends pas.

- Vous connaissez Lactalis ?

- Lactalis truste le lait des vaches, des brebis et de tout ce qui s’en rapproche. Le fleuve des laits débouche dans la mer des places boursières.

- Je ne vois pas le rapport.

- Editis fait la même chose dans le domaine des livres. Pour ces gens-là - mais sont-ce encore des gens ? ne sont-ce pas plutôt des ogres ? - un livre est d’abord une minuscule goutte d’eau dans l’immense fleuve à fric qui nous étouffe.

- Un peu fort de dire que le fric nous étouffe !

- Il coule à flots à l’étage au-dessus. Mais, c’est vrai, il n’y a pas d’escalier pour y accéder…

- Et l’ascenseur est en panne…

- Pour s’y baigner, faut venir par hélico !

- Mais déserter, comment ? A vous entendre, il faudrait déserter toute activité où l’on alimente la pompe à phynances !

- A chacun sa désertion ! La mienne, je vous l’ai décrite.

- Il est vrai que si votre écrivage se rapporte à votre ramage, vous avez peu de chances de vous faire éditer par Editis !

- Détrompez-vous : Editis fait aussi du fric avec la littérature qui dérange ! Et même beaucoup de fric…

- Exemple ?

- Eh bien, connaissez-vous les éditions de La Découverte ?

- Oui, un peu. C’est une maison respectable.

- L’achat de La Découverte par Editis est l’une des multiples opérations juteuses qui lui a permis de gonfler son catalogue global, avant revente. Résultat : un bénéfice plus qu’insolent. Dans ce monde-là, tout fait fric ! Tout, absolument tout !

- Et vous, Don Quichotte, vous enfourchez votre destrier…

- Vous ne le savez sans doute pas mais je suis moi-même l’un des milliers de salariés de Lactalis. Ne me demandez pas d’aller au-delà de cette compromission : ce serait trop pour une même personne !

 

Vieilles interrogations

 

        Nietzsche : ‘Ne pas accorder de crédit à une idée qui ne serait pas venue en plein air au cours d’une marche’. J’ai peine à imaginer que le moustachu ait tant marché de son vivant. Ou bien n’accorda-t-il pas crédit à tout ce qu’il écrivit ? Pour ma part, bien que nomade tant physique que mental, j’ai probablement un petit déficit de ce côté…

        Hier, c’est du côté d’une haute institution intellectuelle que je suis allé alimenter mon indétermination. De grands penseurs français + un grand penseur états-unien, ça peut aider, non ? Au fait, aucun d’entre eux, ni d’ailleurs pas une seule personne parmi les centaines réunies dans l’amphi ne portait de cravate ; seuls les - très nombreux ! - vigiles arboraient ce reste de signe de prééminence nous venant tout droit de la préhistoire… Si je confronte les pontes du jour aux statues de leurs prédécesseurs trônant en ce même sanctuaire, l’apparence n’a plus autant d’importance à qui veut en imposer. Est-ce mieux ?

        à la pause, je parle un peu avec un jeune de Sciences Po. Le livre de cours qu’il parcourt parle de ‘souveraineté’. Je lui/me demande si ce mot ne recouvre pas une fiction, une chimère. ça lui donne à réfléchir. Toujours est-il que son livre n’esquisse même pas cette question. Au bout de sa réflexion, il me dit son étonnement que, à mon âge, on soit encore nourri d’interrogations. Peut-être oublie-t-il que Russel, l’un des mânes invoqués au cours de cette rencontre, assignait pour but à la philosophie se nous apprendre à vivre sans certitude, ajoutant d’ailleurs que ça peut être douloureux, comme s’avérer stérile…

        J’y pense : quand le même Russel écrit que ‘l’amoureux, le mystique et le poète sont également des chercheurs de connaissances’,  apporte-t-il de l’eau au moulin de A., au sujet de son ‘oisiveté productive‘ ? Au demeurant, en les désignant comme faisant preuve d’une ‘foi animale‘, il les disqualifie tout de même quelque peu, non ?

 

En vrac

 

            Si j’écris, c’est p’t-êtr’ bien aussi pour faire l’intéressant, non ?

 

            Au hasard des patelins parcourus, je note une grande inventivité dans la corporation des coiffeurs, coiffeuses et barbiers quant à leurs enseignes (leurs ex-collègues, les chirurgiens, n’ont guère le cœur à faire ainsi mu-muse…). Ce que je n’ai pourtant pas encore aperçu : Hair con, Hair France, etc.

 

            ‘Aire d’accueil des gens du voyage’. Pourquoi ‘accueil’ ? ‘Parcage’ serait plus conforme à la réalité, non ?

 

Gouvernés par des mots

 

            Le micro-flacon de rouge que l’on me sert à table constitue un summum de traficotage verbal ! Bien sûr, c’est du ‘vin’, et même du ‘merlot’ : c'est écrit dessus. Mais cela n’a pas suffi au marketeur : c'est donc, en outre ‘Une note de Cerise noire, Fraise des bois et Fougère', sans oublier les incontournables : 'Le merlot est un  cépage gouleyant et plaisant qui laisse une impression de rondeur et de soyeux', 'Au nez : des notes fruitées, associées à une gamme complexe de sous-bois et d'épices douces', 'En bouche : une attaque souple et aromatique, en harmonie avec les senteurs'.

            Combien d’entre les dégustateurs de ce merlot pourraient lui trouver spontanément un goût de fougère !?!? C’est le 2+2=5 de 1984, non ? Si vous ne ressentez pas d'emblée tout ce florilège que vous apportent ces 18,7 cl du Monoprix, et qu'y ont – vous prétend-on - apprécié d'éventuels connaisseurs (hum !), c'est que vous êtes nul. Si, à force de vous la voir asséner, vous admettez votre nullité, vous devenez gouvernable par le bout du nez

            Je crois que les mots de la marchandise, ceux de la politique, ceux des médias veulent d’abord et avant tout nous faire considérer que notre expérience personnelle c’est de la gnognotte ! Or, si le coquelicot oublie jusqu’à la couleur qui lui est si propre, avec quoi le recoquelicotera-t-on ?

 

Philosophie de bazar

 

            Quand je lis au fronton d’un ‘super bazar’ l‘accroche ‘Faites plaisir à vos envies’, ma réflexion change de registre, car le simple marketing m’y semble secondaire : nous sommes ici en pleine philosophie. ‘Envie’ me semble prendre la place que des générations chrétiennes ont assignée à l’‘âme’ : cette partie immatérielle de nous-mêmes où résiderait notre véritable et éternelle identité. L’avantage de ‘envie’ sur ‘âme’, c’est que c’est du sensible !

 

            Réponse d’une petite à qui sa mère reprochait de voler dans les magasins : ‘Mais puisque j’en ai envie !’.

            Ce matin, les gazettes bruissent du double meurtre commis au tribunal par un justiciable mécontent du jugement rendu à son encontre : une juge et un greffier abattus d’une balle dans la tête. Incapacité à admettre la frustration ? Oserai-je nommer cela ‘crime passionnel’ au sens du mot passion chez Charles Fourier ? Ce qu’il m’intéresserait de fouiner chez ce drôle de bonhomme, c’est-ce qu’il a proposé quant au libre cours des ‘passions’, y compris chez les enfants. N’aurait-il apporté qu’un embryon de piste à ce sujet que ses écrits seraient peut-être bien, aujourd’hui, de salubrité publique ! J’ai jusqu’ici défendu la thèse ‘l’enfant doit apprendre à ‘faire avec’ la frustration’. C’était assurément valable tant que ‘faire plaisir à ses envies’ ne constituait pas le message subliminal le plus constant de toute la pub. Or nous avons probablement changé d’époque à l’échelle de la longue histoire ! Aussi me demandé-je : Et si l’état de la société dont a accouché Mai 68 - ‘jouir sans entrave’, etc. - n’était qu’une toute première marche de ce nouvel escalier ? Ne nous faut-il pas, d’urgence, prendre conseil chez ce Fourier ?

 

Autogestation

 

            Pourtant, par les temps qui courent, l’autogestionniste Chomsky a plus d’adeptes que Fourier. L’écoutant s’exprimer, je me dis qu’il ne tient son discours qu’en raison du fait qu’il n’agit qu‘en paroles. Et je me demande aussi comment il se situe par rapport à un Jack Reed qui, lui, limite sa réflexion aux groupes restreints.

            Jeune adulte, je m’enthousiasmait pour ce vocable : autogestion. Où trouver des exemples ? Celui qui, selon Chomsky, se mettait en place dans l’agriculture russe d’avant 1917, je n’en avais jamais entendu parler. Je ne pouvais exercer mon imagination que sur les kibboutz israéliens et le ‘socialisme autogestionnaire’ yougoslave. Un peu juste !

            Vieil adulte, je ne chercherai jamais, je crois, à courir sur une autre piste. Mais allez donc y donner une traduction politique, au sens où ce mot de ‘politique’ est utilisé habituellement ! Une seule solution : la révolution, bien sûr ! Mais laquelle ? eh bien aller aussi loin que possible dans la voie de ‘s’occuper de ses affaires’, tant collectives qu’individuelles, en commençant par le niveau où il est le plus aisé de s‘y entraîner. Et si la nouvelle époque historique obligeait à y intégrer le ‘libre cours des passions’ ? Autant dire qu’il y a du boulot, y compris pour intellectuels !

 

            Mermet se faisant adouber par Chomsky, tel Sarkozyy chez Bush. Je me demande si un transfert de ‘Là-bas si j’y suis’ à son ancienne plage dans le grillage de la radio publique n’entraînerait pas un nouveau tollé des auditeurs en forme de ‘Touchez pas à notre Mermet !’. Mon ironie n’enlève rien au coup de chapeau que je porte à ce double caractère de l’émission : l’antenne ouverte - mais ça, ça se trouve aussi chez d’autres radios commerciales, en direct qui plus est -, et le reportage - forme si peu prisée chez les patrons de radios.

            Je me souviens avoir suivi, en direct, grâce à une radio confessionnelle, une journée entière dans des villages africains. Je dis bien en direct, c’est-à-dire, sans les biais habituellement introduits au montage. Je ne suis pas dupe des biais qu’introduit la présence du reporter, mais je crois bien que si ce genre d’ouverture avait cours tous les jours, je me doterais à nouveau d’un récepteur de radio.

*

 

            Cela ne me dérange nullement que mon téléphone puisse ne pas sonner une seule fois en un mois ou deux.

 

Association de fait

 

            En 2001, lors du centenaire de la loi française sur les associations, F. pestait tant et plus au sujet de l’occultation complète des associations de fait par les associations déclarées. J’apprends aujourd’hui qu’il a créé, depuis, une ‘Association de fait des amis de l’association de fait’. à tout le moins est-ce cohérent. Faudrait que j’aille y voir de plus près !

 

Oisiveté encore

 

            Je me suis réveillé, ce matin, avec la conviction que je pourrais - maintenant que, élisant le verbe, je me suis mis le plus possible en retrait de l’action  - entreprendre une prochaine saison d’écriture sous l’enseigne ‘Les actions que j’eus pu entreprendre si j’en avais eu l’idée plus jeune’.

 

La majeure partie du monde

 

            Existons-nous ? Des cohortes de philosophes se sont cassé le nez, les dents - et j’en passe - sur cette question. Mon humble avis est que nous n’existons en tout cas pas comme nous le croyons. Le lecteur, tout comme moi-même, a sans doute été nourri à l’idée que la personne humaine est respectable en soi. Mais, hic, la propagande de l’Occident pour les ‘droits humains’ n’est sans doute qu’un emballage pour vendre de la camelote. ‘Au contraire !’, me direz-vous, ‘c’est en fermant les yeux sur cette question qu’un pays peut écouler le maximum d’armements à un autre‘. Et c’est vrai. Oui mais voilà : les droits humains sont l’emblème de la démocratie, et la démocratie qu’est-ce d’autre, in fine, que le libre-marché-tout-puissant-avec-l’aide-des-Etats-et-des-Médias ? C’est par ce tour de passe-passe que la majeure partie du monde est destinée à devenir un immense Fabio Lucci, où l’on croit faire plaisir à ses envies, tout en se rassurant d’observer du coin de l‘œil que les autres ne font rien d’autre. En attendant le bonheur, une grande partie de la majeure partie du monde n’a pas encore accès à Fabio Lucci ; mais la vie dans les décharges peut provisoirement en tenir lieu… La majeure partie du monde, celle que nous constituons, est sans autre importance pour les utopistes néo-libéraux conservateurs. En tout cas, nous n’existons pas comme nous l’aurions cru (et aimé !). Merci les philosophes de nous avoir mis la puce à l’oreille!

 

Mort au « système » !

 

            Des deux expressions ‘néolibéralisme conservateur’ et  ‘libre-marché-tout-puissant-avec-l’aide-des-Etats-et-des-Médias’, je préfère la seconde, plus concrète.

 

Jeûne ou Soupe populaire ?

 

            Au temps où j’allais à la soupe populaire, je n’avais pas encore appris à jeûner. Avec mon expérience actuelle, j’eus pu faire faire de menues économies à la collectivité organisatrice !  

            C’est pourtant par ce canal que je fus déniaisé quant aux sans-papiers. Une première rencontre m’apprit l’itinéraire concréto-concret d’un migrant africain depuis sa prison là-bas jusqu’à son boulot sous nom d’emprunt ici. Il est l’un de ceux qui me paient aujourd’hui ma retraite ; particularité : lui au moins est certain de ne pas en bénéficier lui-même le jour venu…

            En jeûnant dans mon coin, je serais demeuré ignare à ce sujet.

            Une seconde rencontre me fit côtoyer un maghrébin qui en était à son vingt-et-unième séjour en centre de rétention, autrement dit quelqu’un qu’il n’y avait aucune raison d’expulser sinon c’eût été fait depuis belle lurette.

 

W-C parlants

 

            à Paris, certains des W-C publics, gratuits et assez nombreux - ce qui n’est hélas pas le cas dans bien des villes - ont changé de look : plus vastes ils en viennent à ressembler à des salles de bains domestiques : de quoi accrocher ses vêtements, l’eau courante pour se rincer après l’action. Ils eussent aussi pu être accueillants si la voix pré-enregistrée - ben oui, c’est le progrès, ma bonne dame ! - n’était aussi dissuasive… Ils ne sont plus payants, mais parlants hélas !

 

Bistro

 

            A l’instant où j’écris ceci, j’écoute Beethoven au piano. Rien d’étonnant ? Eh bien si : ça se passe dans un bistrot. Et qui est s’est mise à jouer cette sonate ? Mademoiselle la serveuse. Son intermède terminé, elle s’en retourne servir des bières à la pression. Mieux : auparavant, le tenancier était venu me demander si ça ne me gênerait pas qu’elle ‘joue un peu de piano’ ! ça m’a changé du comminatoire ‘Sortez !’ de la toilette publique.

            Et aussi du refus présenté par un autre bistrotier d'Ardèche à qui je demandais que, en buvant le café qu’il m’avait servi, je puisse brancher mon ordinateur à la prise de courant bien en évidence…

- Je pensais que ça ne poserait pas de problème, ai-je osé avancer.

- Mais Monsieur, pour moi il n’y a aucun problème ! Il est seulement pour vous, le problème…

Je me rassure : ce cynisme constitue une rareté, si j’en juge d’après mes multiples expériences. Les toilettes, la prise de courant, tout ça semble aller avec le café au même titre que le biscuit, passé dans les mœurs.

 

Pisser chez le voisin

 

            Ah ! encore les toilettes… J’en parle d’autant plus abondamment que la question m’est souvent posée : ‘Puisque tu n’as pas de chez toi, comment fais-tu ?’        Cette fois, je parle de toilettes dites ’sèches’. Il y a des gens que ça gêne, et on le comprend, car via les excréments s’opère une collectivisation un peu plus poussée de l’intime.

            Je préfère dire toilettes ‘sans écoulement d’eau potable’.

            Cette fois, ça se passe au pied d’un immeuble de banlieue. Les résidents du rez-de-chaussée disposent d’un accès privé à une partie du gazon qui entoure l’immeuble. Grillage. Il fait sombre. Je me décide à uriner sur le gazon plutôt que d’attendre d’être arrivé chez l’ami que je vais visiter et y faire couler le ‘five gallons flush’. Je suis en pleine action quand survient le résident mâle du rez-de-chaussée, arrivant manifestement du travail, sans doute très heureux de plonger dans son univers privé. Il m’interpelle :

- Non mais, ça ne vous gêne pas de pisser chez moi !?

Je lui demande le droit de finir de pisser. Il me l’accorde. Et je lui explique combien il est judicieux de pisser dans les jardins. Le ‘Pissez sous la douche’ n’était pas encore né, non plus que cet endoctrinement qui consiste à faire croire au pisseur qu’il va ainsi ‘sauver la planète‘. Je lui ai fait la totale : les besoins de l’herbe en azote, la facture d’eau, etc.

- Je n’avais encore jamais vu les choses comme ça ! me fit-il, baignant soudain dans la plus grande modestie.

 

Lire encore la pub pour les livres ?

 

            à seule fin de traduire le roman sud-africain Triomf, un Sud-Africain de langue anglaise totalement engoué par le livre apprit l’Afrikaner. Le roman décrit l’aventure d’un groupe fermé sur lui-même, et que l’on voit aller lentement par le fond. Je  n’ai pas eu le courage d’aller au cinéma confronter ma vision de cette situation-qui-pue-le-renfermé avec celle qu’en donne le film qui en a été tiré.

            Pourquoi l’évoqué-je ici ? Parce que c’est le hasard de la rencontre avec ce traducteur qui m’a mis sur la piste du livre. Pour m’orienter dans le maquis des livres, je snobe systématiquement les pages ‘Livres’ des journaux et magazines. Je me suis forgé la conviction que, aux yeux des éditeurs, la presse n’est qu’un ‘support’ de pub et nous, cochons de payeurs qui plus est, ses proies.

 

Nourrir les paysans

 

            Je me garde bien, en outre, de lire chaque jour un quotidien. Et si j’en lis un, ce sera systématiquement un autre titre que celui lu la fois précédente. C’est là ma prophylaxie (certes, toute relative...).

            Aujourd’hui, je me félicite d’avoir lu un quotidien publié dans un autre pays européen. L’information vaut son pesant de cacahuètes. La responsable d’une association d’aide d’urgence aux agriculteurs informe les lecteurs que son organisation est parfois amenée à envoyer des colis alimentaires dans des fermes. ‘Vous vous rendez compte : un colis alimentaire dans une ferme ! C’est absurde…’ Nous ne le lui ferons pas dire ! C’est-ce pas là l’un des symboles parlants d’une époque où l’on marche sur la tête ?

            Je suppose que l’école fait toucher du doigt aux écoliers de tous âges ce genre de situation. à défaut, je me demanderais quelle éducation reçoivent les jeunes pour ‘se préparer à la vie réelle’ (mot d’ordre constant des partisans du rapprochement entre éducation et ‘économie‘) ?

 

Animaux domestiques

 

            Si je nourris de l’aversion à l’égard des médias audio-visuels, c’est en partie en raison de leur recours à la nouvelle engeance d’« animaux domestiques ». Je nomme ainsi ces figures people qu’ils introduisent ainsi chez vous pour vous inoculer la conviction que vous habitez un monde connu. Or, c’est l’inverse qui m’intéresserait…

 

On nous bourre le mou

 

            J’en reviens aux gazettes et à leur drôle de jeu. Hier, selon un journal, le suspect qui avait abattu une juge et un greffier étaient présenté comme albanais, et il agissait pour se venger d’un jugement rendu quelques jours plus tôt à propos d’une garde d’enfants suite à un divorce.

Aujourd’hui, le jugement qu’il n’admettait pas datait de trois ans, et portait sur un litige avec un voisin. Il est désormais probablement de nationalité iranienne.

            Et demain ?

            Que ce meurtrier nous soit présenté comme un individu détraqué, ne doit pas occulter ceci : l’autorité légitime peine à s’imposer à des immigrés ! Il n’est plus exceptionnel qu’un élève sermonné par un dirigeant d’établissement mobilise des membres de sa famille pour venir, le lendemain, menacer le dirigeant. Est-il malvenu d’énoncer ici un tel constat ?

            Même si je suis horrifié de l'usage qu'en fait tout gouvernement...

 

Prisons

 

            Une situation occultée : la vie en prison. Un groupe d’activistes autour de G. a édifié une cellule mobile dont les parois sont de verre. La cellule est montrée sur des places publiques, occupée en général par trois comédiens-prisonniers, qui vaquent à leurs occupations journalières d’animaux humains emprisonnés.

- Quand une revue présente un dossier sur les prisons, il lui arrive d’aller jusqu’à présenter ces lieux comme des lieux de non-droits. Mais il est archi-rare qu’elle présente une alternative. Or il en faut ! Nous ne pouvons pas faire l’impasse là-dessus !

- Plus facile à dire qu’à inventer, non ?

- Les prisons ouvertes, ça existe bel et bien ! Peu en France, c’est d’accord, mais en Suède un tiers des prisonniers vit dans ce genre d'équipement. C’est tout de même un progrès !

 

Voyager à pas cher

 

            Il y a une vingtaine d’années, je m’étais enthousiasmé pour un camping-car coûtant à l’époque mille de nos euros. Avec ça, pensais-je, nous pourrions avec mon épouse entreprendre une grande errance…  Rêve, bien sûr ! Or, aujourd’hui - certes en solitaire - une petite berline fait mon affaire. La mobilité est mensongèrement présentée comme forcément coûteuse, voire très coûteuse !

 

Provocation

 

            Quand je rencontre quelqu’un disposant d’un logement non ambulant, il m’arrive de lui poser la question : ‘Et, en outre, vous avez une voiture?’. Ma question est généralement perçue comme une provocation.

            ça pourrait pourtant être l’un ou l’autre, non ?

            Je n’ai encore trouvé personne pour établir mon ‘bilan carbone’ de nomade automobile sans autre logement.

 

Fin de millionaire

 

            Histoire ’durable’. Il s’agit d’un sachet de sel de l’Himalaya portant les deux mentions suivantes : ‘Fruit d’anciennes mers asséchées il y a plus de 200 millions d’années’ et  à consommer de préférence avant le 30-01-11’.

 

Religion

 

            Les circonstances m’ont conduit à déjeuner ce midi avec V. Au détour de la conversation sur son activité de chercheuse du côté des neutrons, la voilà qui s’anime pour  évoquer sa préoccupation personnelle du moment : ‘Comment un humain peut-il admettre des irrationalités, telles que des dogmes religieux ?’ Une rationaliste, donc ? Je la provoque gentiment :

- Je viens de lire un long article sur la conversion à la religion catholique d’un ex-franc-maçon résolument ‘bouffeur de curés’. Nul n’est donc à l’abri !

- était-il en position de faiblesse au moment d’effectuer ce virage ?

- D’une certaine manière oui. Il était en quête d’une solution aux graves problèmes de santé de son épouse.

- Et sa conversion lui a procuré la solution ?

- D’après ce que j’ai compris, oui. Il s’est aligné sur les croyances de l’épouse, et le rétablissement de celle-ci s’en est suivi.

- D’une certaine manière, c’est une conversion par intérêt personnel.

- Mais cet homme est devenu le prosélyte de sa foi…

- Classique, non, que les nouveaux convertis veuillent à leur tour convertir le monde entier ? Mais tout le monde ne devient pas croyant par intérêt. Le cas de votre ’bouffeur de curés’ appartient à la catégorie des choix personnels. Les situations où l’on naît croyant sont incommensurablement plus nombreuses. Je tente de faire l'inventaire des diverses trajectoires personnelles et collectives possibles.

- Je veux bien en faire le tour sous votre conduite…

- Eh bien, allons-y ! Primo, une opinion a d’autant plus de chances d’être admise comme vraie qu’elle vient d’une haute autorité. Le tour de passe-passe des religions révélées a consisté à créer la plus haute autorité possible, indépassable. Les Grecs avaient la prudence de soumettre même Zeus aux caprices du sort : la volonté des Parques s'imposait à lui. Les philosophes aristotélicienseux, dont l'obèse Thomas d’Aquin, ont consacré des livres et des livres à la possibilité d’un ‘plus haut en dernière instance’, argument qui se transformait ipso facto en une ’preuve’ de l’existence de ce Dieu. Puisque, par ailleurs, cette autorité est supposée être aussi la plus belle, la meilleure, la plus aimante, la plus miséricordieuse, etc. ça donne encore plus de crédit à ladite opinion ! Et, dernière astuce, si la carotte ne suffit pas, le bâton vient à son secours : le Dieu en question est aussi très irritable, punissant, etc. Prenez garde !

- C’est le grand jeu, quoi !

- Et ce grand jeu-là, on le bétonne un max. L’appareil religieux catholique, par exemple, a été construit pour être infaillible car réputé en ligne directe de la plus haute autorité possible.

- Et cette explication ne vous satisfait pas ?

- Non. Il y a la manière. Ces religions ne peuvent s’instaurer qu’en imprégnant les jeunes enfants. Donnez-moi un enfant de moins de 7 ans, j’en ferai – à volonté, la mienne - un chrétien, un musulman, un juif. Mettre en cause après cet âge ce qui a été inculqué avant ce qu’on nomme justement ’l’âge de raison’ exigerait une démarche critique personnelle. Imbibé tout gosse, le chrétien admettra donc sans problème qu’un homme puisse marcher sur l’eau.

- Quel intérêt avaient les auteurs des évangiles à faire croire, par exemple, à une transformation de l’eau en vin ?

- Des évangiles, il y en eut plusieurs, qui ne concordent pas. Pourquoi avoir retenu comme authentique ceux qui évoquent ce miracle ? Il s’agissait de christianiser, via un récit, un tour de passe-passe qui s’opérait rituellement à Eleusis, dans le culte à Dyonisos. Les deux cultes étaient concurrents dans le monde grec, et Dyonisos a très certainement servi de modèle pour le façonnage du mythique personnage de Jésus. Mais là n’est pas la question. Ce qui me semble évident, c'est que cette croyance en un miracle totalement impossible ne peut se perpétuer que parce qu’elle est injectée dans de jeunes cerveaux.

- Admettez cependant que notre ‘bouffeur de curés’ n’était plus un enfant !

- Allez savoir si un adulte qui entre dans une secte ne se met pas dans une telle position d’enfant ! A tout le moins peut-on estimer que la vie de ce monsieur était stressante du fait de la maladie de sa femme. Or l’un des moyens de limiter le stress consiste à éteindre la raison. La diminution des capacités réflexives est même l’un des symptômes du stress. En cas de grande difficulté, l'on régresse jusqu'à fonctionner de manière instinctive : quand le camion vous fonce dessus, vous ne vous mettez pas à raisonner, vous agissez instinctivement. C’est là, tout bonnement, un moyen de survie : l’on privilégie instinctivement la ressource du cerveau primitif. Prenez le cas de Hitler. Au début de son ascension, des diplomates étrangers s’évertuèrent à minimiser les chances qu’avait ce trublion de séduire le peuple allemand. Et pourtant ! Or, un certain stress ne s’était-il pas emparé de l’Allemagne en crise, toutes catégories confondues ? De plus, Hitler énonça en substance ce qu'allait promettre, dans les années 80, le leader du Sentier Lumineux aux Péruviens : ‘Je vous donnerai la Révolution, car je suis la Révolution’. C’est le rôle de celui qui apporte LA réponse, pas seulement en théorie, mais en pratique. La réponse qui donne LA solution. La solution à tout. C’est aussi ce qu’est supposé procurer le Dieu des religions révélées : le salut éternel et le bonheur, comme alternative radicale à la médiocre existence actuellement connue. Impossible de promettre mieux, car ces paroles-là sont indépassables ! Tout autre discours est automatiquement disqualifié.

- Mais les Allemands bien chrétiens avaient déjà reçu cette promesse pour l’existence dans l’au-delà. Pourquoi en rechercher une pour celle-ci ?

- C’est là où une religion non vécue sur le mode intégriste - c’est-à-dire intégral - révèle son caractère fallacieux. Un chrétien intégriste ne se préoccupe pas d’améliorer cette existence-ci !

- A propos d'intégrisme, précisément, comment comprenez-vous que certains scientifiques de très haut niveau n’admettent pas l’évolution ? Bien qu’ils aient accès à des données scientifiques qui attestent d’un processus d’évolution dans la longue histoire, il y en a qui préférent la version d’un monde créé en six jours il y a 6 000 ans.

- L’humain est capable de faire co-exister deux approches antagonistes. C'est ce qui se passe dans le cas de la femme que trompe son mari (ou l’inverse) et qui ‘ne veut pas le savoir’ au sens littéral de cette expression. Elle le sait pertinemment, mais la négation de ce fait coexiste avec ce savoir.

- C’est bien le même Thomas d’Aquin qui énonçait non pas ’Je crois, bien que ce soit absurde’ mais ‘Je crois parce que c’est absurde’ ? Une telle position extrême choque la rationaliste que vous êtes, je suppose ?

- Le grand maître Thomas jouait pour les étudiants de théologie le rôle de vice-plus-haute-autorité. Sa parole ne pouvait qu’être adoptée. Il pouvait donc énoncer n’importe quoi. Sa folie l’a peut-être conduit à croire à ce qu’il énonçait, vous savez !

- Si vous aviez à définir le point où vous en êtes ?

- Je n’en suis peut-être encore qu’au tout début de ma réflexion. Je n’ai pas de plan bien défini. Je laisse venir les pistes de réflexion. J’aimerais élargir au-delà des religions révélées.

- A d’autres religions, par exemple ?

- Oui, assurément. Mais aussi à tous les domaines où la vérité est distribuée par une autorité. En commençant par les situations les plus caricaturales : celles où l’énoncé de la ‘vérité’ est assortie d’une garantie d’authenticité.

- Y a-t-il un rapport entre cette préoccupation et votre activité de chasseresse de neutrons ?

- Bien plus que vous ne pourriez le croire ! Il est probable que je ne me serais jamais attelée à ce domaine des croyances si je n’avais pas été en questionnement permanent dans mon domaine de recherche officiel.

- Mais êtes-vous, pour autant, reconnue comme chercheuse en croyances ?

- Non, il m’a fallu nouer un partenariat administratif avec une équipe de sciences humaines dont c’est le sujet. Et ça n’a pas été de la tarte de le faire admettre ! La 'science' a aussi ses dogmes, vous savez...                 

 

Gens du voyage

 

Hier soir, contrôle de police. Trois policiers bien en forme, tout en me faisant savoir que le parc où s'est dressée ma tente n'est pas fait pour ça - et en me laissant bien tranquille à ce sujet, bien qu'ils m'y aient déjà repéré avant-hier -, me demandent si je sais où se trouvent les 'Roumains' qui étaient mes voisins la nuit précédente : 'On les cherche' (au double sens du mot 'cherche' ?).

 

Carnet en main, je mentionne haut et fort ma qualité de 'gens du voyage'.ça ne leur fait ni chaud ni froid. Il est clair que, ce soir, ils veulent se faire du 'Roumain'. Au vu des fameuses circulaires de cet été, les gens du voyage ont pourtant toute leur place dans les chiffres qu'ont l'obligation de 'faire' les services préfectoraux : ce sont juste deux formulaires différents à remplir. Remplisse qui pourra, d’ailleurs ! car, que je sache, les deux se superposent parfois, non ?

Mais non, évacuer le petit campement d'un seul et unique 'gens du voyage' isolé, ça ne 'chiffrera' sans doute pas assez. Je ne suis pas « en réunion »...

Ordoncques, sus aux Roms. Pardon, aux 'Roumains'.

Quand bien même ils seraient Bulgares…

 

Le même entretien policier nocturne révèle l'argumentaire dont ont sans doute été briefés les 'services' (au fait, le ministre Boutefeux en personne était de passage la veille dans le département, histoire de dédouaner l'état d'un meurtre commis par un récidiviste vite libéré, mais c‘est une autre histoire…) :

les 'Roumains' des policiers sont des gens qui laissent des détritus après leur passage, voilà ! Tandis que moi, toujours selon leurs dires, je n’ai rien laissé traîner la veille : toute la différence…

Sus policier à la pollution, donc !

 

Même sujet, et même problématique du 'sale'. Le quotidien La Croix exposait hier l'avis d'un lecteur au sujet des deux poids et deux mesures qui permettent d'ostraciser les Roms. Il exposait combien de cochonneries sont déposées dans la rue par des gens tout-ce-qu'il-y-a-de-bien (j'ai omis de noter son qualificatif exact) : crottes de chiens, poubelles mal fagotées, 'encombrants' laissés au bon vouloir de qui voudra, sans oublier les pieds négligemment posés sur les banquettes des transports publics.

Il n’oublie pas, le lecteur de La Croix, les journaux gratuits en tous genres dont on peine à se débarrasser. Et l‘on pourrait y ajouter les supports de pub sur papier en tous genres, les pubs sans papiers, les emballages dits ’perdus’. Et l‘on pourrait citer ainsi quantité de pollutions qui ne sont le fait non d’individus mais de l’ossature même de la société, celle qui la ‘fait vivre’, celle qui ‘donne’ des emplois, etc.

Oui mais voilà, c’est comme au cinéma où le bon a le droit de tuer mais pas le méchant (c’est d’ailleurs à ça qu’on les distingue les uns des autres) : les Roms font sale dans le décor, tandis que les autres sont cool !

 

Pour ma part, je me dis tout simplement qu'un pays - ou une Europe, c’est comme on veut - qui est capable de racheter aux banquiers insatiables des milliards d'avoirs polluants qu'ils ont impunément fabriqués de toutes pièces devrait être capable d'inventer quelque chose de convenable, en y mettant le prix, pour donner à des Roms des moyens de faire face au malheur qui les guide ici et à celui qu’ils y trouvent.

Or ça ne se fait pas.

Il est clair que si ce même pays pouvait exécuter publiquement ces chercheurs d'espoir, Roms et autres immigrés qu'aspire notre supposé bonheur occidental, il ne s'en priverait pas. Ce type de dissuasion serait bien plus efficace qu'une prime au retour volontaire !

Faudrait s'inspirer des Chinois.

Ou les leur envoyer...

 

Lu dans la presse lilloise un reportage sur des Roms en Roumanie. Au détour de l'enquête, des expulsés lillois d'il y a un mois, tout à la joie de rencontrer un journaliste lillois, lui assurent que d'ici peu ils seront à nouveau dans cette ville qu’ils ont appris à connaître...

 

Nous sommes nombreux à ne pas tenir en place dans la place à laquelle nous sommes assignés.

C'est ça le vrai danger, non ? La rom’isation de la société est en route. Aussi les campements  ‘quels qu’en soient les occupants’ doivent-ils être évacués ( merci à l'opinion publique d'avoir permis à Boutefeux d'élargir sa cible...).  Crever l’abcès tant qu’il n’a pas pris de trop grosses proportions.

 

à suivre. Car de grosses proportions, il se pourrait bien que ça arrive tout d‘un coup...

 

Français et Talibans ?

 

Depuis un bon demi-siècle, l'on nous enjoint de voir le monde comme il est selon la télévision : jour après jour, information après information, programme après programme, rabâchage après rabâchage, injection après injection, électrochoc après électrochoc, le message subliminal ne cesse d'imbiber nos cœurs, faisant triompher ce mythe délétère.

 

Cette fois, allant plus loin, la loi LOPPSI 2 veut nous contraindre à voir le monde comme il est selon ceux qui le scrutent à travers une caméra de surveillance. Ses instigateurs nous laissent croire que nous, pauvres clampins aveugles et hors de cette vraie réalité-là, nous devons faire confiance à des forces ayant pour « mission » le maintien de l'ordre, qui seront d'autant plus à l'aise pour  imposer leurs visions que les emmerdeurs du pouvoir judiciaire en seront tenus à l'écart.

 

Poussons un peu. Une prochaine LOPPPSI 3 – avec trois « P » cette fois - pourrait s'inspirer du modèle taliban : inscription dans le marbre d'un large ministère « de la Répression du Vice et de la Promotion de la Vertu », couplé à un « Organe pour la Commanderie du Bien et la Poursuite du Mal ». L'on en arriverait par exemple à ceci : ceux qui seraient absents de l'office du soir, si un vol a été commis à cette heure où toute la communauté fait acte de soumission, seraient présumés coupables. Un repérage par défaut, en somme, tellement plus économique que la multiplication sans fin des caméras de surveillance, et combien plus probant !

 

La tribune de Madame Aubry que publie Le Monde du 17 novembre ne convainc pas ceux qui se souviennent que, par le passé, le PS a apporté une contribution législative non négligeable à la montée du sécuritarisme.

 

Lobbies de la « sécurité » contre ceux qui pensent, tout au contraire, qu'il n'y a qu'une urgence : renforcer les raisons de vivre ensemble ? Les députés de droite ont-ils un autre choix que de céder aux premiers ? Se rendent-ils compte que - les dictateurs démocratiquement élus ayant coutume d'avancer à petits pas - le risque est grand que rien ne subsiste à terme de leur propre pouvoir. Au nom de la « performance » de l'exécutif ? Car c'est bien la seule « performance » de l'exécutif que veut accroître cette LOPPSI 2, non ?

 

Mais nous, là-dedans ? Eh bien, voilà : qu'il n'y ait plus de « nous », n'est-ce pas précisément

l’oncle h.                  

                                  

L'oncle h. observe ou invente, quand il ne fait pas les deux à la fois...
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